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Hommage aux galants du métro parisien

Plaidoyer pour une féminité assumée.


Champs-Elysées Clémenceau. Les portes du métro se referment. Je lève les yeux de mon livre,  attrape  mon  sac  et  laisse  ma place à une petite dame plus âgée au pas peu assuré. « C’est très gentil Mademoiselle » me répond-elle, avant d’ajouter bien fort en fustigeant du regard le carré d’en face : « C’est fou, ce sont toujours les femmes qui se lèvent ! Regardez-les ! » Me voilà avec la sensation désagréable de monter sur scène, poussée par une inconnue,  sans  même  connaître mon texte. Je reste  gênée  pendant  de longues secondes alors que tous les regards se sont tournés vers celle qui me donne la réplique. Concorde – ou discorde. Ouf ! « Bonne journée Madame », dis-je en m’échappant de la rame pour prendre ma correspondance.


J’aurais aimé lui répondre. Mais elle m’a prise de court. Lui répondre que non, ce n’est pas vrai, ce ne sont pas toujours les femmes qui se lèvent. Je n’ai pas encore les cheveux blancs, seulement un peu plus d’un quart de siècle au compteur, et pourtant j’ai croisé de nombreux hommes galants dans le métro parisien. C’est sans doute pour réparer mon silence coupable devant cette petite dame que je prends aujourd’hui la plume pour leur rendre hommage.


Merci à vous, Messieurs, qui me laissez passer devant vous en cas d’affluence, qui me tenez patiemment la lourde porte métallique parce que vous avez entendu au loin mes talons résonner dans le couloir, ou encore qui me proposez gentiment de me céder votre place.

La première fois que vous m’avez offert cette dernière, je me souviens d’avoir décliné cette invitation d’un aimable « Merci beaucoup Monsieur, c’est très gentil, mais je descends à la suivante ». Je me rappelle avoir baissé discrètement les yeux, car, si j’étais touchée du geste, ma première pensée fut pour mon ventre dont je voulais m’assurer qu’il n’avait pas trop pris ses aises. Je fus vite rassurée néanmoins, il ne ressemblait pas encore à celui d'une femme enceinte, et je pus goûter la joie de cette délicate attention qui égaya ma journée.


Je ne donnerai pas ma voix au parti des aigries et des mélancoliques qui regrettent les hommes qu’elles ont elles-mêmes castrés. N’allez pas croire que je n’aie jamais croisé un homme peu attentionné dans le métro parisien ! Pourtant je pense qu’il s’agit là d’une tare que l’on retrouve tout autant chez la gent féminine, qui existe depuis longtemps et qui s’est peut-être accrue du fait de certains objets dont le pouvoir est d’enfermer dans des bulles ceux qui les utilisent. Enfin, là n’est pas notre sujet.


Ce n’est pas chez les hommes qu’il faut chercher des galants, mais chez les femmes qu’il faut trouver celles qui laissent aux hommes la possibilité de révéler ce à quoi ils aspirent profondément.


Je repense à cet homme qui m’a laissé cette place juste avant le confinement. Il était près de minuit et j’avoue que mes chevilles commençaient à fatiguer d’être perchées sur mes escarpins depuis le début de la matinée. Montée dans une rame où aucune place n’était libre, je guettais. A la station suivante, je vis qu’une place se libérait, plus loin. L’homme debout qui se trouvait juste à côté s’en approcha, mais ayant vu mon regard se tourner vers la place, me l’offrit. Je traversai la rame et le remerciai chaleureusement. Etait-il moins fatigué que moi ? Je ne pense pas. Sans doute rentrait-il lui aussi d’une journée chargée et aurait-il bien aimé pouvoir s’asseoir quelques instants. Pourtant, il me céda sa place de bon cœur. Huit stations plus tard, la rame avait été envahie par une horde de touristes éméchés et l’on peut dire qu’à la station debout s’ajoutait la pénibilité de la promiscuité. C’est donc pleine de reconnaissance que j’adressai un ultime merci au galant homme tandis que je me levai pour sortir. Ce soir-là, j’ai croisé le regard d’un homme heureux et fier. Le regard d’un homme debout.


Mais enfin, pourront me dire certaines, ce n’est pas parce que je suis une femme que j’ai plus besoin qu’un homme de m’asseoir dans le métro ! Peut-être. Alors restez debout.

Cependant, c’est là souvent mal comprendre les prévenances de l’homme à l’égard de la femme. Son attention pour elle ne vient pas d’une conception machiste du monde – les machos ne sont pas galants – mais bien davantage du respect de l’homme à l’égard de celle qui peut porter la vie.


Bien souvent celles qui s’acharnent contre la galanterie militent dans le même temps pour l’égalité des sexes. Je ne m’attarderai pas sur l’ineptie que représente pour moi cette dernière expression, mais davantage sur la contradiction flagrante que dévoile un tel comportement, en rappelant qu’une femme peut être enceinte sans que cela ne se voie, et que bien souvent pendant cette première période elle peut avoir un besoin légitime de s’asseoir ; en rappelant également qu’après une grossesse la rondeur du ventre peut disparaître plus vite que la fatigue de la mère. Un dernier rappel, enfin, à propos du cycle féminin qui apporte mensuellement des désagréments plus ou moins lourds à porter selon chacune. Pourquoi donc refuser aux hommes la possibilité de prendre sur eux ce qu’ils peuvent porter afin de nous soulager, à savoir un peu de notre fatigue ?


La galanterie n’est pas le reflet d’un mépris des hommes à l’égard des femmes, bien au contraire. Elle est un hommage à la féminité dans ce qu’elle a de plus noble. Elle est le signe visible que l’homme reconnaît que se joue chez la femme un mystère qui le dépasse.


Si tant d’hommes restent assis aujourd’hui, c’est souvent parce que nous ne leur permettons pas de se mettre debout.


Je vous disais que je croisais des hommes galants dans le métro parisien. Si vous pensez que j’ai de la chance parce que vous-même n’en avez jamais croisés, permettez-moi d’être directe : si vous n’avez pas vu d’homme galant dans le métro parisien, c’est qu’il est grand temps de changer ! Changer non pas de trajet, de ligne ou de stations, mais de changer tout court. Sur ce point, en effet, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes, et à notre féminité mal assumée.


Le refus, par certaines, de leur féminité, contribue à rendre timide la courtoisie de nombreux hommes.


Ainsi, la vraie question n’est donc pas de savoir s’il existe encore des hommes galants de nos jours, mais bien davantage de savoir s’il existe encore des femmes.


Si je rentre dans le métro habillée comme un homme, il y a fort à parier que les regards rivés sur les écrans ne décolleront pas un instant en apercevant du coin de l’œil ma paire de baskets. Vous voulez des hommes debout ? Vous pouvez déjà faire qu’ils relèvent la tête.



Un sourire, alors, vaut  mieux  que  tous  les  soupirs  d’une  femme mélancolique parce que « vraiment, de nos jours, les hommes ne sont plus galants ». Souvent, il réveillera l’homme galant qui somnole en chacun de ces messieurs.


Si toutefois cela ne suffit pas, vous pouvez bien sûr rester debout, surtout si vous partagez cette condition avec d’autres personnes dont vous pouvez supposer qu’elles attendent, avec plus d’impatience que vous, un peu de repos. Cependant, s’il vous est nécessaire de vous asseoir, là-encore, ne sous-estimez pas la grâce qui émane de la douceur féminine. N’ayez pas peur de solliciter explicitement, poliment et délicatement les hommes qui vous entourent. On se fait souvent une montagne de ce qui n’en est pas. Beaucoup d’hommes seront ravis de vous rendre ce service.


Cessons donc de nous plaindre à propos des hommes qui ne tiendraient plus leur place, commençons par la leur rendre en prenant la nôtre. Et les vaches seront bien gardées.

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