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Conversion de regard sur le célibat (partie 1)


Le temps béni de l’attente

Pourquoi parler du célibat sur Le secret de Marie ? Certes, le célibat n’est pas propre à la femme – et c’est heureux, car je compte me marier un jour avec un homme ! –, mais il me semble qu’il est néanmoins une manière proprement féminine d’appréhender ce temps d’attente que vivent les personnes qui ont le désir de fonder un foyer.


Si vous n’êtes pas convaincus, songez que la femme dépose tous les mois le berceau maternel que son corps avait préparé pour recevoir la vie. Tous les mois, un jaillissement de vie. Tous les mois, un deuil à faire dans le sang versé pour laisser de nouveau place à la vie. Une femme sait qu’un jour approche où elle vivra, dans ses entrailles, les sursauts de vie et d’angoisse, au rythme des bouffées de chaleur, qui marqueront l’agonie de sa fertilité. D’aucuns parlent d’une « horloge biologique ». Les entrailles de la femme annoncent, à temps et à contretemps, qu’il faut passer par la mort pour renaître à la vie. Dans leur agonie, elles nous rappellent que nous ne sommes ni les maîtres de la vie, ni immortels.


C’est donc le récit féminin de mes péripéties de célibataire que je vais vous conter, une affaire complexe – féminine – d’yeux, de lunettes et d’ophtalmologue, qui m’a conduite à convertir mon regard sur le temps d’attente que je vis aujourd’hui.


Au cours des dernières années, j’ai parfois choisi de porter des lunettes noires. Etait-ce pour me protéger du soleil ? Ou pour cacher mes yeux bouffis d’avoir laissé couler leurs larmes ? Quoiqu’il en soit, tout m’apparaissait plus sombre. C’est comme ça que je me suis retrouvée dans la salle d’attente. Imaginez, c’était une pièce sombre remplie de femmes qui attendaient un rendez-vous. Là, on bavardait, on se racontait ses déboires, ses peines et ses échecs. On y entendait des récits peu glorieux. Rien n’allait. Parfois, une once de jalousie s’immisçait à l’égard de telle ou telle qui, elle, commettait le crime d’être en pleine forme ! Cela pouvait me paraître réconfortant de ne pas être la seule à broyer du noir. Cependant, je me suis rendue compte qu’ayant souvent attrapé les miasmes des autres, et sans aucun doute partagé les miens, je ressortais de cette salle d’attente plus malade que je n’y étais entrée.


Je ne serai pas étonnée d’ailleurs, d’avoir attrapé la maladie des yeux qui louchent dans cette salle d’attente. Je ne sais pas si vous en connaissez, des gens qui se plaignent de toujours tomber sur la mauvaise file. Ce sont eux qui la choisissent mais c’est toujours de la faute de la caissière ou du pignouf qui ne sait pas prendre son ticket au péage ! Alors parfois, je le reconnais, moi aussi, j’ai pu avoir l’impression de toujours tomber sur la mauvaise file d’attente. Après tout, était-ce de ma faute si je tombais sur des hommes qui ne savaient pas s’engager ? Ou si tous les hommes biens rentraient au séminaire ? Ou étaient déjà pris ? Ou ne me voyaient pas ? OU N’EXISTAIENT PAS ? Etait-ce de ma faute si la vie m’avait blessée ? Je n’avais pas choisi, moi, de vivre au siècle d’une société dépravée, de consommation, d’individualisme croissant, bref, de vivre dans un temps qui fabriquait des célibataires en série ! Voilà, vous voyez, je louchais.


Un jour que je prenais le temps de me regarder dans la glace, je compris douloureusement que le vrai problème venait de moi. Un excellent médecin me le confirma d’ailleurs. Sur l’ordonnance me fut prescrit de « regarde[r] la poutre qui [était] dans [m]on œil » (Mt 7,5). Depuis, j’essaye de m’atteler à l’exercice pour corriger au mieux ma vue. Mais ce n’est pas si facile. Il en est un qui prend un malin plaisir à me voir accuser les autres et prendre le chemin de la victime. J’en viens même à oublier que je suis libre. Et que la file, c’est moi qui la choisis.


Comme cette prescription était exigeante et qu’il me coûtait de l’appliquer, je me suis parfois tournée vers d’autres personnes que j’admirais. J’imaginais sans doute ainsi que je pouvais trouver un remède plus facile pour corriger ma vue. Comme elles semblaient voir mieux que moi, je les écoutais avec attention et m’attachais à regarder tout comme elles. A force, je me surpris à porter leurs lunettes. Ce n’étaient pas très agréable car leurs verres n’étaient pas adaptés à ma vue. Je voyais flou, mais plutôt que de les retirer, j’essayais d’adapter mes yeux pour voir comme elles. Souvent, je me demandais ce qu’on pensait de moi. J’avais peur de ne pas être bien vue, et avec ces lunettes sur le bout de mon nez, j’en venais à me juger moi-même et à me dévaloriser. Je voyais flou, j’avais les yeux qui piquaient, mais si ça marchait pour les autres, je pensais que ça finirait bien par marcher pour moi, et qu’un jour, je pourrais aussi y voir clair. Tout cela aurait pu très mal finir.


A la force du poignet, j’aurais pu continuer ainsi à avancer. S’il n’est plus beaucoup de mariages arrangés, sans doute aujourd’hui y a-t-il encore des mariages forcés, où l’on s’avance vers l’autel en n’y voyant que dalle, en prenant tour à tour les lunettes de la mère, de la belle-mère et de la société toute entière ! C’est ainsi que le manque de maturité est une cause plaidée dans beaucoup de reconnaissances de nullité.


Une autre issue, funèbre, aurait pu être de fermer les yeux pour cesser de voir trouble. Ainsi, sans plus rien y voir du tout, j’aurais fini par tomber dans un trou au fond duquel je me serais dit que le mariage n’était pas pour moi. Découragée, je me serais résignée. Et pour éviter de trop souffrir j’aurais probablement choisi de quitter à tout jamais mon cœur pour vivre dans ma tête et me faire une raison.


Dans les deux cas, cela aurait mal fini, en refusant d’attendre. Par précipitation ou négation. Par impatience ou négligence.


« Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur

pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel »

(Ephésiens 1,18)


Par Providence, comme mes yeux souffraient et pleuraient, je décidai cependant de retourner chez le médecin. Alors que j’avais peur d’être jugée pour n’avoir pas bien suivi l’ordonnance qu’il m’avait déjà donnée, Il m’accueillit avec une grande douceur.


Je ne  peux pas très  bien vous dire ce qu’il s’est passé. Je crois que je me suis laissé regarder : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Is 43,4). Croisant son regard plein d’Amour pour moi, je crois que j’ai accepté de me laisser toucher, ausculter.


Avec une infinie douceur, Il a posé sa Lumière sur moi, à travers mes yeux abîmés qui pleuraient. Orientant sa Lumière sur leurs blessures, Il trouva une fêlure par laquelle Il laissa passer un rayon jusqu’à mon cœur.


Sur l’ordonnance, cette fois-ci, prescription d’un suivi régulier pour que ce chemin qu’avait réussi à se frayer la Lumière jusqu’à mon cœur devienne un chemin de vie.


J’ai demandé, inquiète : « Combien de temps, Seigneur ? »


Il m’a souri, avant d’ajouter sur l’ordonnance : « Patience et confiance. Ne crains pas, car je suis avec toi.» (Is 43,5)


Béni soit le temps de l’attente qu’il m’est donné  de vivre  pour enfanter  la  femme vivante et  libre que  le  Seigneur  m’appelle à être ! En attendant quelques précisions à venir sur le « suivi régulier d’enfantement », Dieu seul suffit !


Isabelle C.

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