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Au Paradis... tous des ex ?

Le paradis est quelque chose de mystérieux figurez-vous... Les Évangiles ne se répandent pas en récits merveilleux pour nous en décrire les délices, ou plutôt, ils laissent comprendre « celui qui peut comprendre ». Jésus vient annoncer le Royaume des Cieux, plus que nommément le Paradis, qui toutefois fait un avec le Royaume: « La vie Éternelle, c’est qu’ils Te connaissent Toi, le seul vrai Dieu, et Celui que Tu as envoyé, Jésus-Christ. » [Jn 17:3] Le Christ annonce une relation, une alliance, une noce « j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi  » [Ap 3:20].

Le paradis est encore plus mystérieux lorsque la Résurrection de la chair s’y invite, avec les Cieux nouveaux et la Terre Nouvelle [Ap 21:1]. Le corps glorieux a quelque chose de déroutant. Le Ressuscité semble désormais aussi incarné qu'insaisissable « Un esprit n’a pas d’os ni de chair comme vous voyez que j’en ai » [Lc 24:39] et ailleurs « il disparut de devant eux » [Lc 24:31] ou bien « il apparut aux onze » [Mc 16:14].

L’imaginaire terrestre n’a pu trouver mieux pour parler du Ciel que de s’inspirer du ciel. D’où ces représentations dans l’imaginaire collectif de bancs de nuages évoluant dans un halo lumineux, instillant peu à peu la vision angoissante d’une salle d’attente éternelle dépourvue d’ornements et nimbée dans une lumière de bloc opératoire. De quoi susciter sourdement quelques réticences à quitter la terre prématurément. Or fit remarquer l'un de mes amis, si le paradis n’est pas mieux que la terre, c’est que ce n’est pas le paradis.

Toujours est-il que nous savons au moins cette chose, à savoir qu’au paradis « on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans les cieux » [Mc 12:25], et que le lien sacramentel du mariage est dissous à la mort de l’un ou des deux époux.

La réplique magistrale de Jésus aux Saducéens n’est toutefois pas sans nous interpeler sur les dispositions qui seront les nôtres dans l’autre monde vis-à-vis de celui ou celle qui fut notre conjoint.

En effet, d’un côté il peut être facile d’admettre l’incongruité d’une mise en ménage céleste, a fortiori pour avoir des enfants, de l’autre on imagine difficilement au Ciel les retrouvailles d’époux ayant traversé ensemble les joies et combats de la vie se restreindre brusquement à d’indifférentes salutations, éventuellement un poil gênées :

« Tiens... re’ !

– Lol, grave... re’ ! »

Une telle perspective est plutôt de nature à engendrer quelques inquiétudes dans les cœurs de ceux qui s’aiment, un peu décontenancés à l’idée de se retrouver comme Adam et Ève se dérobant subitement l’un à l’autre, en omettant que cela est l’effet du péché originel.

Sans doute sommes-nous là-dessus invités à croire que la Sagesse divine a une fois encore bien disposé les choses.

On l’oublie sans doute un peu facilement, mais ce n’est pas l’être humain qui a inventé la sexualité, ce n’est pas lui qui a inventé le principe de l’homme et la femme. Il en aurait été complètement incapable, et on le voit bien dans le manque d’inspiration et d’initiative d’Adam au début de la Genèse lorsqu'il est confronté à sa solitude [Gn 2:20]. Et pourtant ce principe nous tient tellement au corps, et nous nous le sommes tellement approprié, que l’on s’imagine qu’il apparaît exclusivement avec la nature humaine et reste en quelque sorte inintelligible à un Dieu Esprit. Après tout, que peut-Il comprendre de nos histoires de couple, de nos chagrins de cœur? D’où le besoin parfois de raconter à Dieu nos besoins amoureux par le menu avec force démonstrations et justifications, comme s’il s’agissait de faire comprendre au mieux la chose à un extraterrestre mal renseigné, dans l’espoir peut-être de Le sensibiliser à nos problèmes humains... comprenez Seigneur... c’est important pour nous...

Nos troubadours ont tant célébré l’amour humain, tous les âges l’ont chanté, à en oublier qu’il trouve son origine dans la poésie et l’Amour de la divine Sagesse. « Il le créa à l'image de Dieu, homme et femme Il les créa » [Gn 1:27] ou encore « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » [Gn 2:18]

Le Bon Dieu est sans doute moins spirituel que nous le prétendons, et même certainement beaucoup plus incarné, Il est le Dieu des vivants [Lc 20:38], le Dieu de la Vie, le Dieu Créateur.

Quel artiste plus facétieux que Lui, pouvant créer à la fois des animaux au fier maintien mais aussi des formes tout à fait cocasses: faire parler les perroquets, parader le coq, sauter les kangourous, onduler le poulpe et dandiner les manchots? Quel poète peut nous faire habiter avec frère Tournesol et sœur Tulipe, frère Cactus et frère Cocotier, sœur Liane et frère Baobab? Qui Seul pouvait avoir conçu l’amour humain, signe de l’Amour trinitaire? Comment pénétrer la secrète Pensée qui choisit ce moyen de l’exprimer dans la Création, qui en définit le charme et la finesse, la joie et l'agrément?

Je me plais à imaginer le Bon Dieu réjoui par Son œuvre et s’exclamant comme Cyrano  racontant son ascension lunaire « Ce fut par un moyen... que j’avais inventé ! » [Acte III, scène 13]

Ainsi donc, avons-nous quelques raisons de croire que dans le plan de Dieu le mariage n’est pas une simple formalité commandée par la nécessité des générations, qu’il n’est pas non plus au mieux une réminiscence, comme les dernières étincelles du projet d’avant la chute, au pire une tolérance, que le célibat pour le Royaume aurait rendu has been, sinon médiocre. Là-dessus il faut catégoriquement éviter toute opposition des deux voies, de telles idées ne pouvant venir que du diable dont le nom veut dire diviseur.

Parmi les signes des temps, la sagesse que l’Esprit communique à l’Église lui permet de redécouvrir toujours plus la beauté du mariage « Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église » [Ep 5:32] s'exclame saint Paul.

On parle désormais beaucoup du mariage comme d’une vocation à part entière. Cela doit nous porter à en méditer attentivement le sens. Il ne s’agit pas en effet d’une sorte de concession lexicale, d'un artifice rhétorique, d’une médaille en chocolat pastichant l’appel jusque-là assimilé à la seule vie consacrée en le généralisant démagogiquement à toutes les situations : « allez zou, à partir de maintenant tout le monde il est beau, tout le monde il est vocation, vive nous ! »

Néanmoins, la voie consacrée, qui possède également un caractère profondément nuptial (sur lequel s'est admirablement exprimé saint Jean-Paul II), est un signe prophétique, en ce sens qu’elle préfigure à tous les baptisés la Charité dans le Christ qui sera notre état au Ciel: tout à tous, en Jésus-Christ dont nous formons l’unique Corps. Le mariage préfigure l’oblation du consacré au Christ livré pour l’Église, lequel état préfigure à son tour la béatitude qui attend les époux chrétiens. Cela nous donne donc un aperçu de cette vie future, et de la plénitude à laquelle nous sommes appelés. Ainsi donc, si l’on songe avec bonheur et à juste titre que le mariage est école et chemin de sainteté, c’est a priori pour embrasser ladite sainteté une fois arrivés au Ciel plutôt que chercher à l’esquiver.


Oui mais... je n’ai toujours pas répondu à la question sous-jacente... subsistera-t-il quelques chose des liens qui nous unissaient sur terre?

De même qu’il est permis de supposer, par exemple, qu’il demeure au Ciel quelques liens filiaux entre le Christ et sa Mère, de même peut-on se risquer à croire qu’il restera au paradis quelques réminiscences de nos relations terrestres, notamment de toutes celles qui nous auront accompagnés sur le chemin de la sainteté. Difficile en effet de songer que les parents renieront leurs enfants, que notre Bon Ange prendra définitivement congé, que nos amis se voileront la face devant nous et que je me ferai saintement snober par mon « ex. »

Alors certes, il y aura des choses purifiées. Tout ce que j’aurais pu avoir de possessif, de captatif, de peur de perdre l’autre ou de jouir de lui, tout cela disparaîtra. Et d’ailleurs il est même recommandé de s’employer dès ici-bas à faire disparaître tout cela, par la grâce de Dieu; ce n'est pas une prérogative du Ciel.

Ainsi, nous pouvons raisonnablement tenir pour évident que le lien privilégié d’amour entre les époux sera préservé là-haut, l’éros s’élevant à la contemplation, l’amitié transfigurée dans la Charité. Le lien sacramentel du mariage va alors laisser place à un lien de vérité. En fait, ce lien de vérité sera comme une révélation de ce qu'aura été notre relation. Comme une image apparaît dans le tirage argentique, la vérité de ce qui aura été vécu et donné sur terre sera manifeste et éternelle. Aussi, mettons de l'ardeur à travailler sur terre à tisser et consolider ce lien de vérité, au service duquel les affections sensibles notamment se trouvent ordonnées. C’est beau de se dire que l’on construit pour l’éternité!

Mais alors, quid si nous nous trouvons veufs puis remariés? De qui serons-nous les époux au ciel? pensons-nous comme les Saducéens. Eh bien, les liens de vérité ont ceci de particulier qu’ils ne suscitent ni jalousie ou rivalité, ni exclusion, ni division du cœur ou conflit d’allégeance, précisément parce qu’ils sont chastes, honnêtes et purs, tout entier ordonnés au bien de l’autre, tournés vers lui sans retour et non centrés sur notre égo. Si l’on a donné à plusieurs au cours de sa vie, il n’y aura pas de quoi rougir. De même lors d’une déception amoureuse, il est consolant de se dire que ce que l’on aura donné de soi de vrai, de désintéressé et d’authentique, au su ou à l’insu de l’autre, et bien cela ne sera jamais perdu, pour peu que nous n'en usions pas comme d'une secrète créance, et resplendira comme le soleil dans l’éternité [Mt 13:43] pour une joie mutuelle qui n'aura pas de fin.

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