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Les convertis - sainte Thérèse de Lisieux : « Je sentis la charité entrer dans mon cœur »

Après la « grande Thérèse », voici la « petite Thérèse » : carmélite à Lisieux et morte à 24 ans en odeur de sainteté. Elle a grandi dans une famille profondément chrétienne (ses parents, Louis et Zélie Martin, ont été canonisés en 2015 par le pape François). Je ne pensais pas du tout qu'elle ferait partie des « convertis » de ce Carême ! Et pourtant, elle-même désigne l'épisode de Noël 1886 comme étant sa « complète conversion » : écoutons-la raconter ce moment de sa vie dans le Manuscrit A conservé au Carmel de Lisieux.


La maison des Buissonnets (photo Google Maps)

​« J'étais vraiment insupportable par ma trop grande sensibilité ; ainsi, s'il m'arrivait de faire involontairement une petite peine à une personne que j'aimais, au lieu de prendre le dessus et de ne pas pleurer, ce qui augmentait ma faute au lieu de la diminuer, je pleurais comme une Madeleine et lorsque je commençais à me consoler de la chose en elle-même, je pleurais d'avoir pleuré... Tous les raisonnements étaient inutiles et je ne pouvais arriver à me corriger de ce vilain défaut.» [...]

« Ce fut le 25 décembre 1886 que je reçus la grâce de sortir de l'enfance, en un mot la grâce de ma complète conversion. Nous revenions de la messe de minuit où j'avais eu le bonheur de recevoir le Dieu fort et puissant. En arrivant aux Buissonnets je me réjouissais d'aller prendre mes souliers dans la cheminée, [...] mais Jésus voulant me montrer que je devais me défaire des défauts de l'enfance m'en retira aussi les innocentes joies ; il permit que Papa, fatigué de la messe de minuit, éprouvât de l'ennui en voyant mes souliers dans la cheminée et qu'il dît ces paroles qui me percèrent le cœur : "Enfin, heureusement que c'est la dernière année!..." Je montais alors l'escalier pour aller défaire mon chapeau, Céline connaissant ma sensibilité et voyant des larmes briller dans mes yeux eut aussi bien envie d'en verser, car elle m'aimait beaucoup et comprenait mon chagrin : "Ô Thérèse ! me dit-elle, ne descends pas, cela te ferait trop de peine de regarder tout de suite dans tes souliers." Mais Thérèse n'était plus la même, Jésus avait changé son cœur ! Refoulant mes larmes, je descendis rapidement l'escalier et comprimant les battements de mon cœur, je pris mes souliers et les posant devant Papa, je tirai joyeusement tous les objets, ayant l'air heureuse comme une reine. Papa riait, il était aussi redevenu joyeux et Céline croyait rêver !... Heureusement c'était une douce réalité, la petite Thérèse avait retrouvé la force d'âme qu'elle avait perdue à 4 ans et demi et c'était pour toujours qu'elle devait la conserver !...

En cette nuit de lumière commença la troisième période de ma vie, la plus belle de toutes, la plus remplie des grâces du Ciel... En un instant l'ouvrage que je n'avais pu faire en 10 ans, Jésus le fit se contentant de ma bonne volonté qui jamais ne me fit défaut. Comme ses apôtres, je pouvais Lui dire : "Seigneur, j'ai pêché toute la nuit sans rien prendre." Plus miséricordieux encore pour moi qu'Il ne le fut pour ses disciples, Jésus prit Lui-même le filet, le jeta et le retira rempli de poissons... Il fit de moi un pêcheur d'âmes, je sentis un grand désir de travailler à la conversion des pécheurs, désir que je n'avais pas senti aussi vivement... Je sentis en un mot la charité entrer dans mon cœur, le besoin de m'oublier pour faire plaisir et depuis lors je fus heureuse !... »

La Grâce de Noël 1886, dessin de Charles Jouvenot (source : Carmel de Lisieux)


Pauvre Thérèse, si sensible et à fleur de peau ! Elle qui pleurait pour un rien, cette soirée de Noël aurait pu virer au drame – c'est d'ailleurs ce que redoute à juste titre sa sœur Céline. Et pourtant il n'en est rien, car toutes ces années de lutte l'ont préparée à recevoir cette grâce si lumineuse.


Se servir des leçons de la vie pour grandir

Thérèse se sait guidée par Jésus, elle lui fait confiance, ce qui lui permet de donner un sens spirituel à cette épreuve : il veut la faire sortir de l'enfance, pour qu'elle soit toute à lui. Cette vexation qui aurait pu l'anéantir est l'occasion même de sa conversion totale. Comme le dit saint Paul dans la lettre aux Hébreux (chapitre 12), « Quand le Seigneur aime quelqu'un, il lui donne de bonnes leçons : il corrige tous ceux qu'il accueille comme des fils. [Les leçons] de Dieu sont vraiment pour notre bien : il veut nous faire partager sa sainteté. » La relecture de notre vie permet de tracer un chemin d'humilité, on constate souvent avec le recul que telle ou telle misère qui nous est arrivée nous a ouvert le cœur et nous a fait progresser dans l'amour de Dieu.


Ne pas se décourager

Pendant 10 ans, Thérèse se bat contre cette hypersensibilité qui lui gâche la vie, sans succès. Mais elle ne renonce pas, et continue pleine de « bonne volonté ». Qu'il est parfois difficile de tenir bon quand aucun changement ne se fait sentir ! C'est un « acte de courage » véritable, comme elle le commente elle-même dans ses dernière paroles peu avant sa mort :


« J'ai pensé aujourd'hui à ma vie passée, à l'acte de courage que j'avais fait autrefois à Noël, et la louange adressée à Judith m'est revenue à la mémoire : "Vous avez agi avec un courage viril et votre cœur s'est fortifié." Bien des âmes disent : Mais je n'ai pas la force d'accomplir tel sacrifice. Qu'elles fassent donc ce que j'ai fait : un grand effort. Le bon Dieu ne refuse jamais cette première grâce qui donne le courage d'agir ; après cela le cœur se fortifie et l'on va de victoire en victoire. » Dernières paroles, le 8 août 1897


Prions donc d'avoir ce courage, parfois invisible de l'extérieur mais aussi grand que celui de Judith, celle qui décapita Holopherne, l'ennemi d'Israël ! Les efforts les plus difficiles sont ceux qui durent dans le temps, et demandent une véritable endurance spirituelle. Ils nous rapprochent de Jésus même à notre insu, quand nous avons l'impression de ne pas progresser.


Laisser Jésus agir à notre place

La « bonne volonté » conseillée par Thérèse, mène tout droit à faire celle du Père, que nous demandons tous les jours dans la prière que Jésus nous a apprise : « Que ta volonté soit faite. » Thérèse, qui a « pêché toute la nuit sans rien prendre », laisse Jésus prendre sa place et choisir sa vocation : elle sera « pêcheur d'âmes » ! Désormais, c'est Jésus qui agit à travers elle, car elle est devenue transparente à sa volonté. Comme le dit saint Paul dans sa lettre aux Galates (chapitre 2) : « Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi. » Ainsi, Thérèse peut aller « de victoire en victoire » car Jésus est avec elle !


Le pape Jean-Paul II, qui en 1997 l'a proclamée Docteur de l’Église, le reconnaissait :

« Pendant sa vie, Thérèse a découvert “de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux” (Ms A, 83 v) et elle a reçu du divin Maître la “science d’Amour” qu’elle a montrée dans ses écrits avec une réelle originalité (cf. Ms B, 1 r). Cette science est l’expression lumineuse de sa connaissance du mystère du Royaume et de son expérience personnelle de la grâce. » Avec sainte Thérèse, demandons la grâce de l'abandon et suivons-la dans sa « course de géant » !

 

Références des textes cités :

- Manuscrit A, MS A 45, consultable ici

- Dernières paroles, consultables ici


Un très grand merci à Hélène Mongin des Éditions de l'Emmanuel de m'avoir aidée à mieux comprendre cet épisode de la vie de sainte Thérèse ! Vous pouvez retrouver différents ouvrages la concernant sur leur site.

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