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Femme, qui es-tu?

"Il n'est pas bon que l'homme soit seul" (Gn 2:18)

 

Rédiger une fiche de bouquin constitue pour moi un exercice inhabituel et exotique ; je ne retiens le plus souvent de mes lectures intellos qu'une impression générale, pas forcément articulée, rehaussée ponctuellement des deux-trois punchlines que je rencontre parfois dans un livre. Je ne regrette cependant pas d'avoir à extraire autant de minerai pour ne garder qu'une ou deux pépites, ni de presser autant de pulpe (à papier) pour quelques gouttes de nectar. Une phrase bien sentie, une intuition nouvelle, une formulation originale, et c'est toute ma vie qui change, même un peu, un horizon inconnu qui apparaît, un espace qui se déploie, comme jadis pour ces explorateurs penchés à l'avant de blanches caravelles: "Ils regardaient monter en un ciel ignoré - Du fond de l'Océan, des étoiles nouvelles" chantait le Parnasse. La sensation dʼawareness est alors telle qu'on lève un instant le nez du livre avec un air ahuri pour accuser le coup de l'éveil. Et encore, l'ouvrage dont je vais vous parler, c'était du costaud, et le minerai en question était particulièrement riche, ce qui me fait d'autant plus craindre d'en trahir la pensée. Par ailleurs, je l'ai condimentée incognito de développements persos, qu'il conviendra d'éprouver selon ce que le sensus fidei vous inspire. Bref, tout cela pour vous prier de bien vouloir pardonner cette retranscription forcément lacunaire et j'espère pas trop infidèle, présentant le triple challenge de devoir être un compte-rendu structuré et fidèle, de concerner un livre sur la femme, et d'être publié sur un site destiné en premier lieu aux femmes. C'était il y a deux ans tout pile, lorsqu'au hasard d'un Triduum pascal chez les Carmes d'Avon, en flânant dans la bibliothèque, je tombai sur ce livre au titre séduisant disons-le. N'étant pas très calé sur la question, du moins d'un point de vue livresque, je le saisis d'un geste viril et l'ouvris au hasard. En feuilletant un peu, je découvris une pensée décidément originale, d'autant plus que je n'avais aucune lecture antérieure sur le sujet à lui comparer. À vrai dire, cet ouvrage offrait une approche particulièrement intéressante pour aborder le mystère de la femme, tout en présentant l'avantage d'être composé par une femme, qui plus est une femme pétrie de lettres et de Parole divine ; j'ai nommé Nicole Échivard, dont le parcours vaut le détour. Ça promettait d'être carré, et ça l'était, agrémenté de courbes toutes féminines. Bref, ce n'est pourtant que l'année suivante que je le commandai pour le lire proprement de A à Z. Je confesse n'avoir rien compris à la première moitié, avant que tout ne s'éclaircisse rétrospectivement par la suite. C'est là que je découvre que lorsqu'une femme parle des ressorts intérieurs de son être, il est plus facile d'interpréter cela correctement avec le prisme d'une expérience et d'une sensibilité féminine, plutôt qu'avec une grille de lecture de bonhomme. [Mode lapalissade off]. Aussi je prends cela pour gage que la lecture en siéra particulièrement aux femmes, surtout quand je réalise quelle forte impression elle a eu sur moi malgré tout. Le livre s'intitule donc « Femme, qui es-tu ? » et reprend en sous-titre la parole biblique « Il n'est pas bon que l'homme soit seul », constat plein de sollicitude et de sagesse divines. Ainsi en quelque sorte, le postulat du livre est dans son titre, et la question reçoit une partie de sa réponse, laquelle sera développée tout au long de l'ouvrage, mais sous un aspect peut-être moins psychologique et physiologique que profondément mystique. Et c'est notamment ce qui m'a interpellé et plu dans ce livre, à savoir son approche résolument mystique du mystère de la femme au sein du Plan de Dieu pour lʼHomme. Ça commence à peine qu'on pressent que ça va voler assez haut. Le début situe le décor et expose le mystère fondamental de la femme comme médiatrice d'amour. Ève est une « aide » afin que l'homme ne soit pas « seul », aide égale par la nature mais très différente de lui par sa personne féminine. Nicole Échivard explique qu'elle est « aide » notamment en ce qu'elle est médiatrice pour susciter et favoriser l'épanouissement de l'homme, pour qui elle est mystère et altérité. « Par la femme, toute semblable et différente, Dieu suscite le jaillissement de l'amour dans le cœur d'Adam ». Dieu lui montre son amour et sa sollicitude pour lui, fait jaillir en lui la joie, la plénitude et la gratitude.

C'est à travers la médiation de la femme et à travers le corps de celle-ci que de l'amour conjugal qui porte Adam vers elle, va naître une troisième personne, l'enfant. La femme devient celle par qui Adam découvre qu'il doit se tourner vers un autre, vers un prochain. La femme est médiatrice, source et nœuds de relations. Satan va donc s'attaquer à elle en premier pour faire chuter Adam. La femme possède donc en propre ce double don conjugal et maternel, qui la dispose à accueillir à la fois l'époux et l'enfant, et à se donner à eux. L'homme engendrant à l'extérieur de lui, il reçoit de la femme ce lien qui le rend responsable envers un autre.

Nicole Échivard poursuit son exposé et parle de la femme comme d'un être à l'origine profondément unifié. Après le péché originel, l'homme se vit comme un être éclaté : dans sa spiritualité, son travail, sa sexualité, son intelligence. La femme est davantage préservée de cet éclatement mais subit la vision éclatée que l'homme reporte logiquement sur elle ; elle devient consommable, corvéable, rentable. Elle en vient à vouloir assimiler les codes masculins jusqu'à l'aliénation, à vouloir devenir un homme comme les autres. Mais la réalité de son être unifié résiste aux logiques de la technique et de la productivité. Les choses se compliquent pour son employeur lorsqu'elle découvre qu'elle attend un enfant ; la réalité de son corps lui rappelant qu'elle ne peut sans se mutiler faire abstraction de la totalité de son être unifié. La femme source d'amour doit obtempérer à la logique de compétition et d'efficacité, lesquelles exigent de se passer d'état d'âme et de communion. Tout en montrant les tentations et risques de l'univers masculin, Nicole Échivard ne manque pas pour autant de citer, et de reproduire en annexe, les grands textes de la doctrine sociale de l'Église et des papes plaidant en faveur de la place qui revient aux femmes au sein de la société civile et du monde du travail, tout en ayant soin de souligner le charisme propre de celles-ci, et le rôle irremplaçable qu'elles sont appelées à jouer dans l'entretien du lien social et l'humanisation de la société. L'auteur a de belle lignes sur le corps de la femme, tout entier expression de son charisme de médiatrice. Médiation d'amour, médiation de beauté, médiation entre l'homme et la nature dans toutes les images de celle-ci qu'il évoque, récapitule et transfigure dans une offrande personnelle. Le corps de la femme est aussi éducateur de la sexualité masculine. Il a ses cycles, tantôt de fécondité, tantôt de stérilité, qui ne dépendent pas de l'homme, mais apportent ordre et sagesse au corps de ce dernier. Cette invitation pour l'homme à se mettre au rythme du corps de la femme le dispose à écouter, à vivre la chasteté et le don conjugal en communion avec l'épouse. Ainsi, le sacrement du mariage vécu avec la force de la Foi en fait un chemin rapide de sainteté pour les personnes, « mystère sacramentel d'autant plus charnel qu'il est spirituel et d'autant plus spirituel qu'il est plus charnel, à l'image même du mystère de l'Incarnation. » Le développement du livre va ensuite s'articuler autour du thème central qui reviendra régulièrement, à savoir ce que l'auteur nomme le « désir virginal de la femme ».

C'est le cœur du livre. Qu'est-ce à dire ? Ce désir virginal, sans cesse renouvelé et donc jamais définitivement consommé, est celui d'« être aimée, corps et âme. » Nicole Échivard insiste beaucoup là-dessus. L'assurance et la puissance d'une telle affirmation m'ont étonné, et ce n'est qu'en entendant l'une de mes amies me le dire presque mot pour mot que j'ai réalisé la densité, le sérieux de la formule et la gravité de l'enjeu. Sentiment dʼawareness... Après coup j'ai mieux compris - du moins j'imagine, et entre autres choses - cet attrait inextinguible et quasi universel des filles pour les histoires romantiques, pour prendre un exemple concret. Ainsi les Jane Austen, Roméo et Juliette, Pearl Harbor et autres Titanic. On ne peut certes pas mettre cela bêtement sur le compte d'une émotivité un peu débordante ou un attendrissement plus prompt. Par ailleurs, il faut faire abstraction de la plus ou moins bonne facture de l'œuvre, car ce n'est pas d'abord ce qui attire les filles, mais plutôt cette possibilité de s'identifier à telle ou telle héroïne et de rêver pour elles-mêmes de telles attentions et tendresses. Bien sûr, plus l'œuvre est fine et soignée, plus l'impression produite est forte, car la délicatesse des sentiments sollicités et la palette des émotions suscitées vient désaltérer des pans toujours plus profonds de l'être féminin. Ainsi je suppose, le penchant des filles pour les histoires d'amour n'est pas qu'un tropisme anodin, un péché mignon dont on s'accommode avec bienveillance pour édulcorer de temps en temps un monde empreint de dureté masculine, ni même un stade intermédiaire et encore malformé dans la maturité de leur affectivité, mais l'expression - ou plutôt l'une des nombreuses expressions - d'un besoin vital et essentiel. Punaise les mecs, mais alors, si une épouse regarde trop de ces trucs-là, c'est que le mari doit se remettre en question ! Bon, je pense tout haut et n'ai pas eu l'occasion de confronter cela à la réalité, sans compter que je m'écarte du sujet.

Ce désir d'être aimée jusqu'au bout, de façon définitive et totale, va trouver sa plénitude dans l'accueil de l'Amour qui vient du Christ, Amour fidèle éternellement, Amour infini. En vue d'une réponse totale à son désir virginal d'être aimée, la femme va exprimer le désir d'une consécration totale ; soit dans le mariage, soit dans la virginité, termes cependant auxquels il ne faut pas donner un sens trop restreint, en se souvenant que chaque état de vie de la femme comprend un mystère nuptial de don, de dévouement et d'enfantement. Là intervient Adam, que le Seigneur institue pour être serviteur de ce désir d'Amour. Ce service peut s'accomplir dans le mariage où l'époux exprime dans le don de lui-même l'Amour de Dieu pour la femme. D'où la parole de saint Paul citée par l'auteur « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église et s'est livré pour elle » (Ep. 5:25). Il s'accomplit aussi dans le sacerdoce, où l'homme configuré au Christ vient donner Son Corps et Son Sang à la femme, comme gages et signes d'Amour infini envers l'Épouse. Nicole Échivard révèle par là un pan de la vocation de l'homme qu'elle désigne comme la « porte étroite » de la femme. Elle démontre également au passage le côté contre-nature d'un sacerdoce ordonné féminin, qui vient fausser la dynamique du don, rendue possible par les rôles respectifs que tiennent Ève et Adam. Awareness... On comprend par ailleurs que l'asymétrie de ce cheminement propre de la femme en-dehors du ministère ordonné témoigne bien qu'au sein de l'Église, tout baptisé possède déjà en lui la plénitude d'une onction propre qui constitue son appel fondamental à la sainteté. Cette vocation est ainsi particulièrement manifestée dans la vocation ecclésiale de la femme, laquelle témoigne ainsi pour les siècles du caractère nuptial de l'Église. L'auteur distingue donc « ordination » masculine et « consécration » féminine, en montrant que si l'homme est appelé à servir l'Église, comme cause instrumentale des sacrements, la femme quant à elle entretient la Source de l'Amour dans la consécration qu'elle fait de son être aussi bien dans le mariage que dans la virginité. Mystère d'appel, d'accueil, de fécondité et d'enfantement, charnel ou spirituel, la femme garde le foyer de l'Amour et rappelle au sacerdoce ministériel, s'il est tenté par la puissance et l'efficacité sacramentelle, que ce qu'il accomplit n'est pas un « métier », mais un « ministère d'Amour, d'obéissance et de miséricorde », vital et « infiniment désiré par ceux qui en bénéficient. » Nicole Échivard souligne par ailleurs la façon dont s'exprime dans l'Évangile la vocation profondément sponsale de la femme et son instinct envers l'Amour, dans l'attitude des femmes vis-à-vis du Christ, que ces dernières suivent spontanément, tandis que le Seigneur appelle les hommes à venir à sa suite. L'auteur conclut par une icône d'Adam, qu'elle réalise à travers le portrait magnifique de la vocation de trois figures masculines que sont saint Jean-Baptiste, saint Joseph et saint Jean, soulignant au passage qu'ils sont tout trois particulièrement liés à Marie. Jean-Baptiste, d'après l'auteur, exprime l'icône la plus complète de l'Adam sauvé, il est aussi l'homme le plus conscient de sa propre vocation. Jean-Baptiste est pleinement homme dans sa vocation de médiateur de la vérité. Il est le prophète, il annonce à sa mère par son tressaillement l'avènement du messie et le lui désigne comme Sauveur. Jean-Baptiste est pleinement homme car il est l'Ami de l'Époux, le Précurseur, qui proclame qu'il n'est pas l'Époux, et qu'il doit diminuer devant Lui. Ainsi Adam est-il « serviteur du Seigneur auprès des enfants des hommes, celui qui le désigne comme le Messie, comme l'Agneau de Dieu, et comme l'Époux, en disparaissant devant Lui après avoir conduit à Lui. » Joseph, homme de silence, réalise sa vocation dans la « virginité d'un ministère très intime et très caché d'époux et de père ». Il manifeste le don totalement tourné vers la mère et l'enfant, sans retour sur lui-même, un oubli de soi exprimé par son silence. Joseph comprend qu'il est Serviteur inutile et l'intendant des trésors de son Dieu comme époux et comme père, comblé des droits et des devoirs les plus exceptionnels. Saint Joseph est celui à qui il est révélé qu'ultimement le vrai Père de l'enfant est Celui « aux affaires duquel Jésus doit être ». Mission cachée et Silence, en complément de Jean-Baptiste qui est mission publique et la Voix qui crie dans le désert. Époux et néanmoins vierge, père et néanmoins père adoptif, Joseph est d'autant plus l'époux et le père qu'il a tout reçu, tout accueilli, tout assumé, ce sans que des liens selon la chair ne l'y obligent. En lui nous comprenons que Dieu attend du père un amour oblatif offert sans limite.

En parlant de Jean, Nicole Échivard décrit « celui que Jésus aimait », dont l'expérience mystique « l'a conduit à se perdre et à trouver son nom et son identité dans le mystère et le nom de Jésus ». Jean, tout en étant le viril « fils du tonnerre » (Mc 3:17), est l'aimé, l'ami, l'épousé, le moine, le consacré mais aussi l'évêque et le prêtre. Il est « l'Adam sauvé qui vit du mystère eschatologique de Jésus-Époux. » Il est celui qui reçoit Marie pour mère. Marie est celle qui va achever dans la personne de Jean « la transfiguration du feu de la violence en feu de l'amour ». Jean, l'aigle mystique, est celui qui a le mieux parlé du réalisme de l'Amour de Dieu, du mystère trinitaire de cet Amour, de son mystère de fécondité, du mystère de Gloire propre du Verbe Incarné, de son mystère nuptial. « L'Esprit et l'Épouse disent “viens!” » (Ap. 22:17). Jean est celui qui a reçu de Jésus « cette éblouissante mission sacramentelle de nourrir Marie (qui savait tellement mieux ce qu'elle recevait que Jean ce qu'il donnait) de la Présence Eucharistique de son Jésus ». Jean comme prêtre et apôtre devient médiateur pour l'Épouse en vue d'unir toujours plus celle-ci à l'Époux. À travers ces figures masculines du précurseur, de l'époux et du prêtre, unies dans la même identité « d'Ami de l'Époux » qui s'efface devant ce dernier, Nicole Échivard montre, dans le mystère de l'homme qui est d'être pour la femme cette « porte étroite », la merveilleuse relation d'interdépendance qui unit l'homme et la femme dans leurs vocations respectives. Enfin bon, faut que je m'arrête là sinon je vais m'envoler dans les airs. En conclusion, je dirais que ce livre écrit aux alentours de 1984 fait partie de ces quelques perles inconnues, mais remarquables, visionnaires presque, à la pédagogie édifiante, et qui gagneraient sans doute à être redécouvertes. La lecture est un peu ardue, car ça vole quand même très haut et l'auteur nous y livre sa bouleversante expérience mystique du mystère féminin. Donc ne vous attendez pas à un sympathique traité de développement perso ; c'est exigeant, dense en même temps qu'aérien, avec la puissance d'une parole prophétique. J'espère que ce livre nous aidera à nous émerveiller toujours plus devant la grandeur du dessein du Créateur, en même temps qu'il nous remplira de dévotion pour le Mystère d'Amour Trinitaire de Celui qui fit l'homme et la femme « à Son Image et à Sa Ressemblance. » ÉCHIVARD Nicole, Femme, qui es-tu ?, Éditions MAME, 1995




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