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Elisabeth Leseur (1866-1914)

« Cette vie, je l’ai consacrée à Dieu ; je me suis donnée à lui dans un élan de tout mon être ; j’ai ardemment prié pour ceux que j’aime, pour celui que j’aime par-dessus tout… Il y a autour de moi beaucoup d’âmes que j’aime profondément, et j’ai une grande tâche à remplir auprès d’elles. Beaucoup aiment Dieu ou le connaissent mal. Ce n’est ni en polémiquant ni en discourant que je pourrai leur faire ce qu’Il est pour l’âme humaine. Par la sérénité et la force que je veux acquérir, je prouverai que la vie chrétienne est belle et grande et qu’elle apporte la joie avec elles. »

Ce simple extrait du Journal que tenait Elisabeth Leseur dans le secret de son bureau au début du XXème siècle suffit à toucher du cœur l’incroyable exemple de cette femme toute simple, cette petite bourgeoise qui tenait de belles réceptions et n’était que sourire pour les autres lorsque son cœur à elle ne vivait que de Dieu.


L’enfance simple et belle

Pauline Elisabeth Arrighi est née le 16 octobre 1866 à Paris. Son père Antoine, avocat à la cour du Second Empire, et sa mère Marie-Laure comblent d’amour cette première fille, que suivront trois autres filles et un fils. C’est une famille aimante, qui cultive les bonheurs simples, les attentions et la joie chrétienne d’être ensemble dans leur appartement du 45, rue de Rennes à Paris. Madame Arrighi s’occupe elle-même d’enseigner à ses enfants l’Histoire de France et la littérature, mais aussi, dès le plus jeune âge, à faire le signe de croix, à s’ouvrir à l’Amour de Dieu, à connaitre son catéchisme, à prier.

Elisabeth, à l’exemple de sa mère, prend l’habitude de noter ses réflexions sur le catéchisme et les petits évènements de sa vie dans un cahier qui sera plus tard publié par son mari sous le titre Journal d’Enfant. Grâce à sa maman, la petite Elisabeth comprend très vite l’importance du dimanche, bien au-delà de l’habitude. Lorsqu’il ne lui est pas possible d’assister à la sainte messe, elle sanctifie toute seule ce jour et lit dans son missel les prières. « Aujourd’hui j’ai pensé au bonheur de l’enfant qui va communier et je ne pouvais pas me persuader que la prochaine première communion qu’on fera à Saint Germain des Prés, j’y serai et je recevrai le bon Dieu dans mon cœur. Mais en suis-je digne ? Hélas ! non ; mais je tacherai bien de m’en rendre digne. » (Journal d’Enfant, 15 juin 1877).

Elisabeth veut être une sainte et pour cela, corriger son caractère affirmé, particulièrement ce qu’elle considère comme son principal défaut, l’esprit de contradiction ! Taquine par nature, elle s’attache à faire le bien autour d’elle et prie beaucoup avec ses mots d’enfants pour que le Bon Dieu la porte dans ses efforts. Elle grandit, joyeuse, affectueuse avec les siens et avec ses amis, se préparant de son mieux, comme une jeune fille de son milieu en cette fin de XIXème siècle, à la vie domestique et maritale qui devra un jour être la sienne.


Un couple parfait

A 21 ans, chez des amis communs, elle croise à plusieurs reprises le jeune Félix Leseur, de cinq ans son ainé. Lui est charmant, cultivé, brillant, elle est vive, intelligente et joyeuse. Les deux jeunes gens se plaisent. Elisabeth n’imagine pas qu’il puisse ne pas partager sa foi. Pourtant Félix, élevé comme Elisabeth dans une famille bourgeoise très chrétienne à Reims, a grandi en se nourrissant, en parallèle de son éducation catholique, des philosophes libertins du XVIIIème, et des écrivains exotiques qui le passionnent et font naitre en lui de profonds désirs de voyage. Après des études de médecine à Paris qui achèvent en son cœur la foi de son enfance, il ne fréquente désormais que les milieux anticléricaux de la capitale et les établissements du Paris artiste et bohème.

Le 31 juillet 1889, en la belle abbaye de St Germain des Prés, et après quelques mois de fiançailles, Elisabeth et Félix se marient. La veille du mariage seulement, Félix a avoué à Elisabeth qu’il a renié la foi de ses parents. Si la jeune fille met sa confiance en Dieu pour épouser cet homme qu’elle aime et admire mais qui reste si différent, Félix se sent dès lors habité d’une mission secrète : la ramener sur la voie du bon sens et la « libérer » de cette foi archaïque qui est la sienne.


Premières croix

Après un voyage de noce au long du Rhin, les jeunes mariés se rendent à Reims où pour la première fois, Elisabeth ressent une profonde fatigue qui la cloue au lit. Les médecins restent perplexes, et supposent un abcès abdominal dans l’intestin. De retour à Paris, les médecins amis de Félix ne peuvent soigner la jeune femme qui vivra toute sa vie une alternance de profondes fatigues et de périodes de rémission.

Le jeune marié se dévoue auprès de son épouse, et ces épreuves ne font que fortifier l’amour du courageux couple. Elisabeth, consciente que son état de santé risque d’anéantir les rêves d’expédition et de carrière coloniale de Félix, supporte avec courage et résignation cette croix, et s’abandonne à Dieu.

Juste après Noël 1889, le père d’Elisabeth meurt soudainement d’une violente grippe. Trop faible, Elisabeth ne peut assister aux obsèques de son père et le vit comme une épreuve supplémentaire, pour laquelle elle verse des larmes offertes à Dieu chaque jour.


Un défi secret pour Félix

Peu à peu elle reprend des forces, et a un grand désir de tout faire pour rendre son mari heureux. Ils reprennent une vie sociale active, et fréquentent des amis fidèles qui partagent les idées de Félix, Elisabeth ne sait rien de la promesse personnelle que son époux s’est faite le jour de leur mariage.

Félix devient rédacteur en chef du journal La République Française, poste important qui nécessite l’entretien de relations sociales et la tenue de nombreux diners mondains auxquels Elisabeth consacre tous ses talents de maitresse de maison.

En 1892, la jeune sœur d’Elisabeth, Amélie, se marie, et accueille bientôt un premier enfant. Si Elisabeth est marraine, sa joie est mêlée d’une tristesse profonde, car elle sait désormais que son état de santé ne lui permettra pas d’être mère. Sa filleule jouera donc une place extrêmement importante dans la vie de Félix et Elisabeth.

En 1893, Elisabeth et Félix sont invités à Rome par Mme Arrighi, qui a même obtenu une audience auprès du pape Léon XIII. Elisabeth est profondément émue de ce pèlerinage auquel l’accompagne son mari. Extérieurement Félix respecte la foi de son épouse et l’accompagne même parfois à la messe. Mais bientôt il s’engage plus ardemment dans une lutte sournoise contre cette foi qui le hérisse.


Au salon de Madame Leseur

A Paris, Elisabeth accompagne son mari partout, en réception, aux concerts, au théâtre, aux bals, et on les voit toujours entourés des nombreux amis que compte leur cercle social. Félix est fier de son épouse, cultivée et curieuse de tout, et espère que cette vie mondaine et ce tourbillon d’activités détourneront Elisabeth de sa vie spirituelle. Peu à peu elle n’a plus le temps de prier, ou même de se rendre à la messe, elle laisse peu à peu sa foi.

En 1895, Félix renonce à une prestigieuse nomination au conseil colonial par amour pour sa fragile épouse, et prend la direction d’une grande compagnie d’assurances. Le couple Leseur est devenu une personnalité essentielle du Tout-Paris. Tout dévoué l’un à l’autre, et malgré leurs différences de convictions, leur amour est plus fort que jamais, fortifié par leurs échanges, leurs lectures partagées, la tendresse sans cesse renouvelée. « Elisabeth se veut avant tout responsable du bonheur de l’homme qu’elle aime. N’ayant pas d’enfants, toute son énergie et son imagination lui sont consacrés par amour tout simplement. » (Bernadette Chovelon).

Elisabeth décide bientôt de reprendre des études et d'approfondir l’apprentissage du latin pour mieux comprendre les racines romanes de la langue française. Par la suite elle apprend le russe afin de pouvoir mieux lire dans le texte Tolstoï et Dostoïevski qu’aiment tant les deux époux.


Le havre de Jougne

A l’été 1897, Félix et Elisabeth tombent sous le charme d’un petit village du Jura, Jougne, où ils décident de faire construire une maison qui aura une grande importance dans leur vie. Mais en août, au cours du voyage de retour à Paris, leur voiture se retourne et Elisabeth se brise plusieurs côtes. Elle met plusieurs semaines à se remettre de l’accident, de nouveau avec le soutien attentionné de Félix.

En 1899, Elisabeth se met à l’étude de la philosophie, toujours pour le plaisir du travail intellectuel. Elle regrette de voir les femmes de la société souvent reléguées à un rôle mineur dans la famille. Pour elle, pour chaque femme, « c’est un devoir de développer sans cesse son intelligence, de fortifier son caractère, de devenir un être de pensée et de volonté ; c’est un devoir d’envisager joyeusement la vie et de l’affronter avec énergie ».

Elle s’engage bientôt auprès des déshérités, dont elle enseigne aux enfants la lecture, l’écriture et le catéchisme dans le cadre de patronage. De même elle crée au Vésinet un « Foyer de la Jeune Fille », sorte de pension pour les jeunes filles ouvrières qui pourront ainsi avoir un foyer calme et familial.


Lire toujours

Les deux époux, bibliophiles affirmés, ont chacun une bibliothèque fournie et agrandie avec soin qui font leur fierté. Bientôt, Félix espère donner un coup final à la foi de son épouse en lui conseillant de lire La Vie de Jésus d’Ernest Renan, ancien séminariste dont l’ouvrage attaque sournoisement les fondations du christianisme. Elisabeth se plonge dans cette lecture et décide de fournir un travail d’analyse de l'argumentaire. A l'inverse du but poursuivi par Félix, la lecture de ce livre anticlérical, malgré tout l’amour qu’Elisabeth porte à son mari, fortifie en elle ses convictions et lui permet de se replonger dans les Saintes Ecritures. Sa foi en ressort grandie et renouvelée. Elle ne se perdra plus.

Par respect pour Félix, Elisabeth ne dit rien de sa vie spirituelle renouvelée, et se contente de tout écrire dans un Journal qui suivra chaque jour les aspirations et les grâces reçues en son cœur de chrétienne. Mais sa transformation intérieure n’échappe pas à Félix qui la taquine, la raille parfois publiquement, n’invite que des amis anticléricaux et organise des diners mondains le vendredi.

Elisabeth ne dit rien et supporte tout par amour pour son mari. Elle offre toutes ses humiliations pour sa conversion et le salut de son âme. Elle s’imprègne de Rerum Novarum, encyclique de Léon XIII consacrée à l’homme et aux injustices sociales, dont elle peut parler avec Félix sans en révéler l’éclairage chrétien.

Semer

Entre deux voyages, les Leseur continuent à recevoir chez eux régulièrement. Elisabeth brille dans ses réceptions par sa douceur, sa culture, et les attentions qu’elle porte à chacun, portées par la charité et l’approche chrétienne qu’Elisabeth a de toute personne qu’elle rencontre.

« J’aime plus que d’autres ces êtres que la lumière divine n’éclaire pas ou plutôt qu’elle éclaire d’une façon que nous ignorons, pauvres petits esprits que nous sommes. Il y a un voile entre de telles âmes et Dieu, un voile qui laisse seulement passer quelques rayons d’amour et de beauté. Dieu seul peut, de son geste divin, écarter ce voile ; alors la vraie vie commencera pour ces âmes. Et moi qui vaux si peu, pourtant, je crois à la puissance des prières que je fais sans cesse pour ces âmes chères. » Elisabeth n’entre jamais dans le débat, mais veut convertir par sa joie de vivre, son amour des autres et la tendresse pour celui qu’elle aime mais qui ne la comprend pas.

Félix et Elisabeth portent ensemble la lourde croix de la stérilité, et s’attachent énormément à leurs familles et leurs neveux respectifs. Elisabeth échange de nombreuses lettres avec les enfants de sa sœur Amélie, ils sont très proches et Elisabeth tente de soulager par ces liens privilégiés sa souffrance de ne pas avoir d’enfants. Lorsque le petit Roger, âgé de sept ans, tombe gravement malade, Elisabeth ne quitte pas son chevet et est bouleversée à la mort de l’enfant, « cher petit qui est dans la Lumière et dans l’Amour ».

En 1902, leur maison de Jougne est achevée, ils y font de longs séjours, et y invitent leurs amis. Lorsqu’à Paris Félix est épuisé de ses journées de travail, il suffira qu’Elisabeth lui dise : « Félix, pense à Jougne », et il se sentira mieux.


Une âme : Juliette

En 1903, Félix accepte de nouveau d’accompagner Elisabeth à Rome, qui peut assister à une audience de Léon XIII et se sent profondément emplie de l’amour de Dieu lors de ses prières à Saint Pierre du Vatican. « Consciente que la foi est un don de Dieu, que son mariage est aussi un don de Dieu partagé, elle prie ardemment pour que son mari, cet homme à qui elle a été unie devant Dieu par une alliance éternelle, revienne un jour vers lui. » (Bernadette Chovelon). Ce voyage dans la Ville Eternelle la marque profondément et constitue une étape importante de sa vie de foi.

Si à son retour de Rome Elisabeth ressent une profonde fatigue, elle a bientôt la douleur de voir sa petite sœur Juliette dont elle est très proche s’affaiblir de plus en plus avant de mourir saintement de la tuberculose au printemps 1905. Juliette a même avoué à Félix juste avant sa mort qu’elle avait offert pour lui les grâces reçues par l’extrême onction. Elisabeth a alors l’intuition qu’un jour Félix sera prêtre.

Félix est plus qu’attentionné pour son épouse et pour sa belle-mère effondrée, il leur propose à toutes deux un repos bien nécessaire à Jougne. Il admire le courage d’Elisabeth qui a gardé sa joie de vivre, et puise secrètement en Dieu la sérénité et la force de sourire.


La femme chrétienne

Elisabeth continue de tout lire, d’écrire, d’étudier, plus convaincue que jamais de la nécessité pour une femme chrétienne de se former, de se cultiver, d’ancrer sa vie dans la foi de manière intelligente et de toujours rechercher la Vérité et savoir la défendre, à travers deux armes : la prière et le travail.

Elisabeth passe la majeure partie de son temps à entretenir des correspondances, et passe de longues heures dans son bureau pour ses activités épistolaires. La majorité de ses amis sont incroyants, mais elle leur écrit avec une telle foi, une telle délicatesse, une telle envie de laisser déborder son cœur plein d’amour de Dieu, que ces cent six lettres privées seront un jour publiées par Félix sous le titre Lettres à des incroyants. Elle ne cherche pas à convertir, toujours respectueuse des convictions d’autrui et discrète sur sa vie spirituelle ; il s’agit juste de semer des graines de Lumière divine, confiant tout le reste à Dieu. A travers le récit d’évènements simples du quotidien, elle livre en vérité une application de l’Evangile dans chaque chose, même les plus simples, avec une simplicité et une joie qui bouleversent et font d’elle une amie précieuse.


Tout pour Félix

A partir de 1907, Elisabeth est de plus en plus faible. Son foie ne semble plus remplir sa fonction, et la vie d’Elisabeth doit ralentir. Félix, toujours si attentif, la comble de soins et fait tout pour la soulager, avec un amour qui ne faiblit pas depuis leur mariage en 1889. Elisabeth reçoit de nombreuses visites, et si elle ne peut pas se déplacer, celles du père Hébert, prêtre dominicain, qui se veut délicat vis-à-vis des positions anticléricales de Félix.

Elisabeth tente de ne pas subir son état de santé et veut offrir ses souffrances. « Et maintenant mon Dieu, je vous offre l’existence nouvelle ouverte devant moi. Je veux, soutenue par votre grâce, devenir une femme nouvelle, une chrétienne, une apôtre. » Vis-à-vis de Félix, Elisabeth veut tenir son devoir d’état, elle prend soin de son apparence pour rester séduisante et continue de se former intellectuellement. Au fond d’elle, elle aspire tellement à voir Félix revenir à la foi de son enfance... Elle puise sa force chez Ste Thérèse d’Avila, St Augustin et les Evangiles qu’elle relit chaque jour.

En 1908, après une grave rechute, Elisabeth peut voyager vers Jougne dont l’air pur lui a toujours fait du bien. Félix doit bientôt rentrer travailler à Paris, et les deux époux toujours aussi amoureux s’écrivent chaque jour pour rendre l’absence moins pénible. Elisabeth ne veut pas se plaindre, et tente d’être toujours gaie et attentive à son mari, qui se doute de l’origine d’une telle force, mais n’en dit rien. « Elle va à la messe pour lui ? Il ne dit rien et il le prend comme un geste d’amour pour lui. Il comprend qu’elle lui donne ce qu’elle peut lui donner, ce qui est au plus intime de son cœur, même si ce n’est pas dans ses convictions. » (Bernadette Chovelon)

Félix accepte désormais la foi de sa femme, mais ses convictions profondes n’ont pas changé. Il prend comme une plaisanterie cette intuition que lui révèle souvent Elisabeth : un jour il sera prêtre.


Beaune et sœur Marie

En 1909, Félix emmène Elisabeth visiter Beaune et ses hospices. Elisabeth y est touchée par une petite malade et choisit de lui envoyer des petites cartes à chaque étape de ses voyages. Par cette petite fille, à travers un échange de lettres, Elisabeth rencontre sœur Marie Goby, religieuse aux hospices de Beaune, et qui sera une confidente précieuse jusqu’à sa mort. Avec elle seule Elisabeth peut tout dire sur les tourments de son corps et de son âme, sur l’Amour de Dieu en son cœur et la tristesse d’en voir Félix si loin. Un jour, cet échange épistolaire sera publié encore par Félix sous le titre Lettres sur la souffrance.


L’isolement spirituel

En avril 1911, on découvre chez Elisabeth un cancer du sein. Il faut opérer d’urgence. Elisabeth offre toutes ses souffrances pour son mari, et s’abandonne à Dieu. Félix est impressionné par le courage de sa femme, il en connait l’origine mais ne peut comprendre rationnellement ce qui pour lui est la foi en un Dieu imaginaire.

Quelques jours après l’opération, alors que Félix est au chevet d’Elisabeth, elle lui demande de lui lire les Fioretti de Saint François d’Assise. Félix s’exécute avec tendresse, mais reste imperméable à cette lecture. Lorsqu’Elisabeth rentre chez elle, tous ses amis viennent la visiter. Elle est épuisée et a besoin de calme, mais elle donne tant d’amour à ces amis fidèles que Félix ne dit rien.

A l’été 1911, Félix et Elisabeth retournent à Beaune, où Félix accompagne même volontiers son épouse à la messe, pour lui faire plaisir. Elisabeth peut enfin rencontrer Marie Goby en personne. Félix est toujours aussi proche de son épouse, aussi amoureux, aussi attentionné. Il l’admire. Mais il ne sait pas que seule à Marie Goby Elisabeth avoue combien elle souffre que son mari ne partage pas sa foi.


Lourdes et Félix

En 1912, en action de grâce pour la guérison d’un neveu souffrant, Elisabeth se rend à Lourdes avec sa sœur, le petit malade et Félix, toujours. Le spectacle des malades en quête d’un miracle entretenu selon lui par la religion scandalise Félix, mais le bouleverse également. Au fond de lui il est ému, et le visage d’Elisabeth en prière devant la grotte le transporte. L’heure de Dieu n’est pas encore venue, mais dans son cœur Félix restera touché par ce voyage à Lourdes.


« Tu viendras me retrouver »

Une rémission temporaire d’Elisabeth permet au couple un voyage dans le nord de l’Italie, mais dès leur retour son corps n’est plus que souffrance. En 1913 son état de santé se dégrade. Elle souffre aussi de son isolement spirituel au sein même de son foyer, mais n’en dit rien à Félix, qui se dévoue pour elle et fait l’impossible pour la soulager. Félix a du mal à envisager la mort prochaine de sa chère épouse, mais celle-ci lui affirme : « tu viendras me retrouver, je le sais » ! Pour elle, il est de la « graine de saint », ce qui fait rire Félix.

Lorsque la souffrance lui laisse un peu de répit, Elisabeth veut réconforter Félix, lui sourire, lui rappeler son amour. Jusqu'au bout ils sont tout l'un à l'autre. Et le 3 mai 1914, après huit jours de coma, Elisabeth rend sa belle âme à Dieu.


Après Elisabeth…

La mort de cette épouse adorée bouleverse Félix qui ne peut imaginer qu’une existence qui lui était si chère puisse brutalement s’arrêter au cimetière. Déjà Dieu fait son chemin, patiemment. La messe d’enterrement est impressionnante de ferveur et de recueillement, malgré le peu de chrétiens pratiquants parmi les amis d’Elisabeth et Félix. Mais il est surpris de voir certaines personnes qu’il ne connait pas s’agenouiller, au passage du cercueil, murmurant « c’était une sainte ».

Désormais seul, Félix sera dans le désespoir tant cette épouse adorée lui manque. Mais la découverte de son Journal le bouleverse et sa lecture l’accompagnera chaque jour. A l’instigation de plusieurs amis, il accepte de le publier pour partager à d’autres les richesses du cœur de sa femme. Ce sera chose faite en 1917. Comme Elisabeth lui avait demandé, il se rend à Lourdes, et cette fois l’appel de Dieu se fait plus pressant à l’entrée de son cœur, il rend les armes et s'ouvre à la foi.

A la Pentecôte 1915, il entre au Tiers ordre dominicain. Bientôt, sa décision est prise. Il sera prêtre. En 1918, il publie tous les manuscrits écrits de la main de son épouse, à l’appel de toutes les personnes qui lui ont écrit, bouleversées à la lecture du Journal de sa chère Elisabeth. En 1919, à 58 ans, il entre au noviciat pour devenir dominicain. Et le 8 juillet 1923, frère Marie Albert devient prêtre de Jésus. Son image d’ordination porte une citation d’Elisabeth. Il consacrera le reste de sa vie à faire connaitre la richesse de la vie spirituelle de son épouse, à répondre à d’importantes correspondances, à tenir des conférences, publier ses manuscrits et une Vie d’Elisabeth Leseur, en 1930. Bientôt, suite aux témoignages de toutes les grâces obtenues grâce à Elisabeth, il commence à travailler pour présenter une demande de béatification de sa chère épouse. Ce long travail extraordinaire est interrompu par la Seconde Guerre Mondiale, qui empêche le vieux père Leseur d’en venir à bout. Epuisé, son esprit s’affaiblit peu à peu, et le 25 février 1950 il peut enfin quitter ce monde et retrouver son épouse bien aimée, dans la Lumière du Christ à qui il avait fini par offrir sa vie.

Pourquoi chercher cette femme ? Elisabeth Leseur peut devenir pour chacune de nous une amie. Elle qui souffrait à chaque instant de ne pas avoir eu d’enfants, mais qui a juste voulu être pour les autres. Elle qui ne travaillait pas, mais qui avait toujours l’amour désintéressé de la Vérité, et ne cessa jamais de se former. Elle qui n’était pas comprise par son mari, mais offrait tout pour le Salut de celui à qui elle avait choisi de s’unir devant Dieu, un jour d’été 1889. Elle qui se devait à une certaine vie mondaine, mais voulut créer une atmosphère de joie et d’hospitalité chrétienne au cœur même du Paris bourgeois et anticlérical. Elle qui était une femme toute simple, mais dont les pensées, les joies et les peines étaient toutes tournées vers Dieu. Elle qui rayonnait comme une modeste lampe à l’huile à la rencontre du Christ son époux, mais toujours en emmenant avec elle Félix, qui fut celui grâce à qui aujourd’hui on peut connaitre et aimer Elisabeth Leseur, femme, épouse, chrétienne.

Source : Bernadette Chovelon, Elisabeth et Félix Leseur, itinéraire spirituel d’un couple, Artège, Paris, 2015.

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