Vendredi 11 octobre 2019, ma journée de travail se terminait avec une bonne nouvelle: malgré le timing serré, mon collègue et moi arriverions à attraper l'avion qui devait nous ramener de Berlin à Zürich et de là, sauter dans le dernier train pour rejoindre nos pénates. Le retour en Suisse étant donc assuré et le travail terminé, je pouvais enfin m'occuper de l'organisation de mon week-end que j'avais confié à la Bienheureuse Marguerite Bays: "Si tu veux que je sois à Rome dimanche, tu te débrouilles!" Le bus direct était complet, mais j'en trouvais un autre qui me permettrait au passage de goûter à l'ambiance particulière d'une escale en gare routière de banlieue à 3 heures du matin. Toute contente, j'annonçais à mon collègue que je l'abandonnais pour la deuxième partie du voyage. J'allais passer le week-end à Rome!
Bref, cette petite anecdote pour vous dire qu'il peut être, malgré tout, bien pratique d'être célibataire pour se permettre ce genre de petites folies! Imaginez cela avec une famille, même jeune… c'est plus difficile!
Le dimanche 13 donc, je me retrouvais sur une place Saint-Pierre noire de monde dont quelques centaines de Suisses, pour assister à la canonisation d'une femme atypique: Marguerite Bays, humble couturière de Siviriez (Fribourg) qui peut être un exemple pour chacun d'entre nous.
On peut se demander ce qu'elle a bien pu faire d'extraordinaire pour en arriver là…
Et bien justement… d'extraordinaire, rien!
"Il s’agit d’une femme toute simple, avec une vie ordinaire, en qui chacun de nous peut se retrouver. Elle n’a pas réalisé de choses extraordinaires, et, cependant, son existence fut une longue marche silencieuse dans la voie de la sainteté." (Ainsi que tous les textes en italique dans la suite: Extraits de l'homélie de St Jean-Paul II lors de la Béatification le 29 octobre 1995)
Deuxième de sept enfants, elle naît le 8 septembre 1815, fête de la Nativité de Marie, dans une famille d'agriculteurs, bons chrétiens et travailleurs. Reconnue pour son intelligence, elle aura la chance de faire trois ans d'école, là où la majorité des enfants n'en font que deux. C'est une enfant tout à fait normale, au caractère bien trempé, joyeuse, mais qui aime aussi régulièrement se retirer toute seule pour contempler la nature, lire ou prier. À l'âge de 17 ans, elle s'opposera au placement de François, le fils illégitime de son frère aîné et prendra elle-même en charge son éducation.
Remarquée pour sa piété, on lui demande si elle ne veut pas entrer au couvent, mais elle répond avec douceur et fermeté: "Non, je prierai autrement". Elle choisit donc de rester célibataire au sein de sa famille et d'y vivre constamment avec le Seigneur.
Son humilité lui a permis de rester ancrée dans le concret de sa vie tout en laissant son cœur petit devant Dieu. Sa vie est rythmée par la prière, le travail, le service et la mission. Nous allons essayer d'explorer certains de ces aspects séparément, bien qu'ils fussent en réalité constamment imbriqués: elle priait en travaillant et travaillait en évangélisant!
Fondons-nous sur ce qu'en disait Saint Jean-Paul II lors de sa béatification et avançons à sa suite car "la mission vécue par Marguerite Bays est la mission qui incombe à tout chrétien."
Prière et spiritualité
"Dans l’Eucharistie, « sommet de sa journée », le Christ était sa nourriture et sa force. Par la méditation des mystères du Sauveur, particulièrement du mystère de la Passion, elle est parvenue à l’union transformante avec Dieu."
Tous les jours, levée entre deux et trois heures du matin, elle prie puis s'adonne ensuite à la préparation du travail de la journée, avant de se rendre à la messe. Puis elle se rend dans les familles qui ont besoin de ses services de couturière. Elle se déplace à pied, le chapelet constamment à la main, et ne commence jamais son travail avant de l'avoir prié. Régulièrement la famille visitée se joint à elle. Plongée ensuite dans son travail, elle reste en présence du Bon Dieu, par exemple par un regard par la fenêtre en direction de l'église ou simplement par des oraisons jaculatoires, de sorte que des témoins diront qu'elle était constamment en prière.
De par les différents aspects de sa spiritualité, Marguerite est relativement en avance sur son temps. Membre du Tiers-Ordre franciscain, elle a accès à la bibliothèque du Tiers-Ordre et lit aussi bien la bible, ce qui est exceptionnel pour un laïc catholique à l'époque, que les encycliques du pape. De plus, elle montre une grande dévotion envers Marie, l'Eucharistie et le Sacré Cœur de Jésus. Toute sa vie en est marquée. Née un jour de fête mariale, elle rendra régulièrement visite à Marie dans ses sanctuaires et sera guérie miraculeusement d'un cancer le jour de la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception, le 8 décembre 1874. Peu après, elle recevra les stigmates qu'elle portera pendant plus de 20 ans, revivant la Passion du Christ tous les vendredis. Cela marquera une deuxième partie de sa vie beaucoup plus intérieure.
"Certains de ses contemporains trouvaient que ses longs moments de prière étaient du temps perdu. Mais, plus sa prière était intense, plus elle s’approchait de Dieu et plus elle était dévouée au service de ses frères. Car, seul celui qui prie connaît vraiment Dieu et, en écoutant le cœur de Dieu, il est aussi proche du cœur du monde.
Nous découvrons ainsi la place importante de la prière dans la vie laïque. Elle n’éloigne pas du monde. Bien au contraire, elle élargit l’être intérieur, elle dispose au pardon et à la vie fraternelle."
Service
"Dans le catéchisme, elle s'est efforcée de présenter aux enfants de son village le message de l'Évangile, en utilisant des mots que les jeunes pouvaient comprendre. Elle s'est consacrée généreusement aux pauvres et aux malades."
"Les pauvres sont les amis préférés du Seigneur" répétait-elle souvent en cherchant constamment à répondre aux besoins de son temps. Elle se dévoue en particulier auprès des pauvres enfants orphelins placés dans les fermes pour travailler. Elle les soigne, les nourrit, les vêtit et leur propose des sorties de jeu le dimanche après-midi. Bien entendu, elle n'oublie pas de les faire prier un peu et leur enseigne aussi le catéchisme. Elle se dévoue aussi auprès des malades et des mourants. Elle s'en occupe, permettant à la mère de famille de s'adonner à ses autres tâches ou de se reposer.
Elle se met continuellement à l'écoute de Dieu et se laisse guider par l'Esprit Saint à travers chaque évènement, elle est ainsi effectivement présente à l'instant présent et donc entièrement avec les personnes qu'elle rencontre et à qui elle accorde toute son attention. Elle accueille les personnes telles qu'elles sont, sans les juger, comme un autre Christ qui vient à sa rencontre et ne leur répond jamais sans avoir d'abord fait un temps de silence pour écouter l'Esprit Saint.
Si dans la première partie de sa vie, c'est elle qui se déplace chez les gens pour leur rendre service, après la stigmatisation, elle restera beaucoup plus souvent chez elle, régulièrement alitée et ce sont alors les gens qui viendront à elle pour bénéficier de ses conseils et de ses charismes.
Mission
"Sans quitter son pays, elle avait néanmoins un cœur ouvert aux dimensions de l'Église universelle et du monde. Avec l'esprit missionnaire qui la caractérisait, elle a implanté dans sa paroisse la Propagation de la foi et de la Sainte Enfance."
Parallèlement à ses activités avec les orphelins ou le témoignage de foi qu'elle livre aux familles chez qui elle va travailler, Marguerite s'est aussi investie dans d'autres œuvres missionnaires existantes dont elle a fondé des groupes dans sa paroisse, pour venir ainsi en aide aux prêtres et aux enfants dans les terres de mission.
D'autre part, dans son Pays de Fribourg où règne un climat idéologique hostile à la foi, elle encourage et conseille le fondateur de l'Œuvre de Saint Paul, une nouvelle communauté qui a pour but l'évangélisation par les médias.
"Marguerite Bays nous encourage à faire de notre existence un chemin d'amour. Elle nous rappelle aussi notre mission dans le monde : annoncer l'Évangile à temps et à contretemps, en particulier aux jeunes. "
Son célibat et sa vie toute donnée à Jésus, ont permis à Marguerite d'être totalement libre de se donner à chacune des personnes qu'elle rencontrait. Elle a ainsi été d'une fécondité extraordinaire et son rayonnement s'est étendu bien au-delà de sa famille.
Continuons donc notre chemin de sainteté à la lumière de son exemple en mettant en pratique l'exhortation qu'elle donnait souvent à ceux qui venaient la consulter:
"Il faut tout faire pour la gloire de Dieu!"
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