Dimanche, aux environs de 19h15, à la fin de la messe du soir. Le prêtre entonne « Allez dans la paix du Christ, Alléluia… » et part dans une envolée lyrique digne des plus grands chanteurs d’opéra. Nous répondons, un peu moins vigoureusement, « Nous rendons grâce à Dieu, Alléluia… »
Pourtant, mon cœur, en cet instant, est loin d’être dans l’action de grâce. Je me sens seule. Nos enfants nous ont fait la misère. Je fulmine en les regardant. Entre la dernière qui teste sa voix sans complexes (et elle a un sacré coffre), la seconde qui allume un cierge, manquant de prendre feu, pendant que nous communions et l’aîné qui a bien failli débrancher je-ne-sais-quel-câble, probablement celui de l’alimentation générale de l’église, ce qui nous aurait plongés dans l’obscurité la plus profonde, je ne sais plus où donner de la tête et je regarde mon mari, dépitée.
Chaque dimanche, c’est la même histoire. Cela fait plusieurs années que nous mettons en place différents stratagèmes pour tenter de vivre une messe dans le calme, et de pouvoir la suivre un minimum, sans se regarder pendant l’homélie en se demandant : « de quoi parlait l’évangile, déjà ? » Nous vivons nos messes de manière mécanique, automatique, et, de plus en plus, avec appréhension.
Est-ce la volonté divine ? Je ne pense pas. Je ne pense pas que Dieu ait prévu de nous infliger de tels tourments (et je pèse mes mots). Je ne pense pas que Dieu soit heureux de nous voir aller à la messe avec des pieds de plombs.
J’ai remarqué qu’il y a des choses qui fonctionnaient bien, et d’autres, très mal. La nourriture, chez nous, par exemple, est un désastre. Nous créons un besoin qui était inexistant. Sauf, je vous l’accorde, lorsque la messe est vraiment tard, et que le petit-déjeuner, lui, est loin.
Je n’ai pas de recettes. Ce qui aide mes enfants ne marchera peut-être pas avec vous. Simplement, le problème qui se pose (si tant est que l’on puisse appeler cela « problème ») est complexe et important.
Toi que je dérange, ou plutôt, toi que mon enfant dérange avec ses babillages, je suis désolée. Mère Térésa disait que lorsqu’un cœur est pleinement dans un tête à tête avec Dieu, ce ne sont pas des babillages de bébé qui vont l’en extraire. Au contraire, le fait d’être en présence de Dieu nous tourne vers autrui avec plus d’amour encore.
Attention cependant : je parle ici de bébés et de jeunes enfants. Je parle donc de petites personnes qui ne savent pas formuler une demande ou exprimer un besoin. En revanche, un enfant qui sait faire quelques phrases et qui fait du bruit est en mesure de comprendre qu’on ne fait pas de bruit à la messe. Il peut être amené à faire trop de bruit pour des raisons tout à fait légitimes : faim, froid, ennui, ou plus… Il peut être bon de sortir, pour comprendre ce qu’a l’enfant, et lui laisser l’espace pour se calmer s’il en a besoin. Et pour préserver les autres !
Toi qui maugrées parce que tes appareils auditifs grésillent, parce que du haut de tes 85 ans tu te sens offusquée qu’on fasse autant de bruit, n’oublie pas que tu as, toi aussi, été enfant, que ton regard a du poids, que tes paroles ont de la valeur, et que tu es pour mes enfants un témoignage de vie… ou de mort !
Toi qui as repris doucement mon enfant alors qu’il s’apprêtait à couper l’électricité de l’église, merci. Merci à toi, qui es sûrement grand-mère, merci d’avoir été douce, de m’avoir souri, d’avoir vu mon embarras depuis le début de cette célébration, alors que je m’étais mis devant, pensant que cela porterait mes enfants. Merci car il faut tout un village pour élever un enfant et il est si bon que l’Eglise et ses membres soient ce village !
Vous, prêtre, qui êtes venu nous saluer à la fin de la messe, touché probablement par nos mines déconfites, vous qui nous remerciez pour ce que vous qualifiez de « voix d’anges », merci ! Merci de poser sur nous un regard bienveillant, merci de nous décomplexer en nous disant : « Vous savez, il y a des bruits que seuls les parents entendent » : là oùnous entendons un vacarme infernal, vous entendez des gazouillis ! Merci de nous conforter dans notre désir de venir à la messe, et de nous pousser à nous mettre devant car sinon, « que vont voir vos enfants ? des gens en rang, et rien d’autre ! »
« Le jour où l’on n'entendra pas les bruits des enfants à la messe, ce jour-là, il faudra pleurer. »
Alors oui, nos enfants ne sont pas concentrés, ils sont bruyants, vivants, parfois dissipés, fatigants, et ô combien énergiques. Mais ne nous rappellent-ils pas notre propre condition d’enfants de Dieu ? Ne sommes-nous pas, dans notre combat spirituel, comme eux ?
Il est immense le cadeau que nous leur faisons. Elle est immense la joie du ciel à ce moment-là, même si notre moral est bas, même si nous ne comprenons pas le sens de ce que nous vivons. La foi est un acte qui se pose tous les jours, un acte qui se fonde sur l’exercice de notre liberté. Alors oui, c’est dur, non, rien n’est acquis, mais tout passe. Et Dieu demeure.
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