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Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus

Comment ça va ça va sur ta planète...


Longtemps j’ai rechigné à accorder audience à ce livre. Peut-être est-ce parce que son statut de best-seller me le ravalait inconsciemment au rang de littérature de gare, a fortiori lorsqu’il s’agissait de traiter d’un sujet de psychologie pop. Pourtant si j’avais suivi la défiance vis-à-vis du succès, je serais probablement passé à côté de bien des chefs-d’œuvre, comme de la poésie du conteur Tolkien, mais aussi et avant tout de la Bible, livre le plus diffusé de tous les temps (et aussi le moins lu, précise mon père spi... dont acte).

Toutefois, ce n’est qu’après avoir franchi le pas que m’est rétrospectivement apparue sympathique la démarche de notre auteur, qui ne s’embarrassait pas dans une introduction à vous proposer craintivement le postulat de l’existence de populations appelées hommes et femmes, pour les seuls besoins du récit, avant de se risquer à poursuivre davantage. Au contraire, non seulement il n’a pas de temps à perdre à postuler quoi que soit, mais il commence gaillardement par vous expliquer, que dis-je, par vous révéler que l’homme et la femme viennent l’un et l’autre de planètes carrément différentes. Une façon de vous mettre en situation qu’il reprendra comme un leitmotiv tout au long de son ouvrage. Il convient de rappeler que le livre remonte au début des années 90, et force est de constater qu’à peine 30 ans plus tard, le titre ludique et candide crie déjà vengeance vers le ciel (ou plutôt l’enfer) de la déconstruction. Par la même occasion je découvris que notre bon apôtre John Gray avait depuis récidivé, se multipliant tous azimuts en une prolifique saga Mars et Vénus sur le modèle de la série des Martine : Mars et Vénus au régime, Mars et Vénus font la paix, Mars et Vénus réussissent ensemble... d’une décomplexion à se demander de quelle planète lui-même vient. Toutefois si vous souhaitez remonter au crime fondateur, c’est bien ce livre qui constitue l’épisode pilote.

C’est donc avec une certaine bienveillance que je me suis pris au jeu de feuilleter le papier sulfurisé de ces pages ingénument subversives. Pour autant, la lecture n’a pas été de tout repos, et je suis parfois passé par des phases de désintérêt, sautant tel chapitre pour le reprendre plus tard, néanmoins je dois reconnaître que l’ouvrage en l’état est plutôt cohérent et équilibré, et perdrait sans doute à se voir amputé des parties (qui m’ont parues) plus arides.


Je dirais que ce livre comporte deux ensembles. Un premier – celui auquel on s’attend le plus – qui consiste à présenter la compréhension qu’a développée l’auteur des modes de fonctionnement respectifs de chaque sexe, et par conséquent de ce qu’il advient lorsque ces deux modes interagissent, et un second, plus ou moins intercalé dans le premier, consistant en un exercice de thérapie relationnelle.

Il est à noter tout de même que le contexte de base du livre est celui d’une relation de couple. D’où le côté potentiellement rébarbatif de certaines redites, longueurs ou exemples qui sembleraient trop abstraits à ceux et celles d’entre nous qui ne sommes pas dans ce cas de figure. Pour autant, l’analyse qui est faite s’étend au-delà du simple noyau conjugal, et met en exergue des comportements que l’on retrouve dans tout type de relation homme-femme, bien que de façon moins manifeste que si vous viviez à plein temps avec un conjoint. Ainsi, rétroactivement le livre m’a permis de reconsidérer et réinterpréter avec étonnement le déroulé de certaines amitiés avec la gent féminine. Inversement, la confrontation de ces amitiés-là à ce qui était écrit m’a aussi permis de prendre du recul par rapport à la grille de lecture proposée par le livre, en constatant que la limite n’est pas toujours si évidente entre ce qui relève d’une tendance psychologique étendue à tout un sexe et ce qui tient en fait davantage au caractère propre d’une personne, et notamment dans quelle mesure ces deux dimensions s’interpénètrent, s’articulent ensemble voire s’effacent l’une devant l’autre. Ainsi, il convient quoiqu’il arrive d’établir un juste discernement au cas par cas. John Gray lui-même nous y invite, précisant que lors de ses colloques il a pu rencontrer des femmes qui se reconnaissaient beaucoup plus dans certains traits masculins et vice-versa, des hommes se reconnaissant plutôt dans tel ou tel trait assigné par l’auteur aux femmes. Mais dirions-nous, il s’agit d’abord pour lui de traiter de tendances majoritaires.


Voilà pour le contexte, revenons au contenu. Le premier ensemble du livre, celui qui occupe la quasi-totalité des chapitres, s’organise la plupart du temps comme un va-et-vient entre l’exposé des traits psychologiques identifiés par Gray comme typiques du masculin et du féminin, et la façon dont ceux-ci se traduisent en attitudes, en besoins et en attentes au sein du couple. Dans un second temps, il détaille le langage émotif propre à ces psychologies avec en face, l’interprétation qui est faite dudit langage par le sexe opposé, suivie des réactions que cette interprétation commande chez lui ou elle.


Pour faciliter notre compréhension, le propos du livre est récapitulé de façon régulière dans des tableaux de « décodage » des attitudes et langages typiques, avec la perception qui en est faite par le sexe opposé, et propose du même coup des attitudes et éléments de dialogue à préférer à nos réactions et répliques spontanées afin de prévenir l’émergence d’un malentendu et ultimement d’un conflit.

À intervalles réguliers, l’auteur place opportunément en exergue italique des formules échantillonnées dans les paragraphes et censées en résumer l’essence.


Globalement, les « règles d’or » ne sont pas très compliquées à retenir, et c’est là que repose entre autres la force du livre. Gray fait en sorte de s’en tenir surtout à deux-trois grandes idées sur lesquelles il revient souvent, ne passant de l’une à l’autre qu’une fois le sujet bien assimilé. D’où parfois l’impression de redites et de longueurs, mais ici la technique du jeu « Je pars en voyage et je mets dans ma valise...» fonctionne, surtout qu’en fait beaucoup de choses peuvent déjà être déduites de ce petit nombre de principes.

Ces principes, sans entrer dans le détail, se résument notamment par les asymétries suivantes (que j’aimerais, quoique de façon hasardeuse, donner dans le bon ordre car certaines à mon sens découlent en fait d’autres) : selon Gray, dans l’ordre des valeurs/instincts, celles des Vénusiennes sont : l’amour, la communication, la beauté et les rapports humains ; ceux des Martiens: le pouvoir, la compétence, l’efficacité et la réussite.

Dans l’ordre de l’amour, la femme a notamment besoin d’être entourée d’attentions, peu importe leur caractère extraordinaire, la régularité comptant avant tout. Elle a besoin de compréhension et d’une écoute disponible. L’homme lui a besoin qu’on lui fasse confiance, qu’on l’apprécie et l’accepte tel qu’il est. D’où des maladresses, où l’homme va témoigner de sa flamme en travaillant d’arrache-pied pour contribuer au bien-être du foyer, mais au détriment de sa présence, et concocter ponctuellement des cadeaux de folie, mais parfois en négligeant les petites attentions. De même, il va tenter de « réparer » comme de la mécanique tout ce qui cloche dans les tracas évoqués par sa femme alors qu’elle attend d’abord d’être accueillie dans ses sentiments. À l’inverse, l’homme supportera mal de recevoir de sa femme des conseils qu’il n’a pas sollicités, ayant l’impression que sa capacité de solutionner et de réussir sont remises en question. De même, il ne verra pas facilement le déséquilibre dans le don de soi au sein du couple si la femme se dévoue trop, car il suppose que sa manière à elle d’évaluer la réciprocité est analogue à la sienne, et par conséquent qu’elle ne fait que remplir une part qu’elle aura estimée équitable.


Dans l’ordre de l’humeur, la femme a tendance à exprimer son mal-être en déplorant une liste de choses, l’homme en se retirant dans son coin, la fameuse « caverne ». De là vient que les hommes pensent régler le mal-être des femmes en solutionnant un à un chaque problème exprimé sans comprendre que ce ne sont bien souvent que des épiphénomènes du désarroi, et de là vient aussi que les femmes pensent soulager le mal-être des hommes en insistant pour qu’ils se confient alors qu’ils préfèreraient surtout qu’on les laisse tranquilles.

L’auteur consacre ainsi deux chapitres sur les phénomènes qui accompagnent les fluctuations cycliques du moral chez les hommes et les femmes. Les premiers sont comparés à des « élastiques » qui ont besoin périodiquement de se distendre vis-à-vis de leur investissement dans le couple pour mieux y revenir après. Les secondes sont plutôt comme des « vagues » qui décrivent un mouvement vertical de montée ou descente dans un « puits ». Ces deux comportements différents attendent de la part de l’autre des réactions forcément opposées. Là où l’homme préfère qu’on lui donne la possibilité d’une retraite (justement pour permettre à l’élastique de s’étirer, ce qui nécessite qu’un bout laisse l’autre s’éloigner temporairement), la femme a d’autant plus besoin d’attention, d’écoute et de compréhension, d’être avalisée dans ses sentiments sans se sentir jugée. Or, la projection sur l’autre des attentes qui sont les nôtres lorsque l’on ne va pas bien occasionne immanquablement les situations contraires : les hommes se tiennent en retrait pour que les femmes aient l’espace pour s’isoler et faire leur travail d’introspection, et les femmes poursuivent les hommes de leur sollicitude pour qu’ils expriment ce qu’ils ont sur le cœur.

Bref, pas simple, ou plutôt simple comme bonjour, mais encore faut-il le savoir.

Vous vous en doutez, les descriptions du livre donnent la part belle aux situations d’incompréhension voire d'échec, car son but en définitive n’est pas d’abord de parler poétiquement des hommes et des femmes, ou à l’inverse de faire des blagues où chacun en prendrait pour son grade, mais avant tout d’aider les couples à sortir de bien des galères et éviter bien des écueils. C’est un livre qui se veut bienveillant et sérieux. John Gray, conseiller en relations conjugales et en communication, n’a pas d’autre objectif lorsqu’il écrit à la fin de son introduction :

« Puissiez-vous gagner chaque jour en sagesse et en amour. Puisse le nombre de divorces diminuer et celui des mariages heureux augmenter. Nos enfants méritent un monde meilleur. »

Bien sûr, on peut toujours émettre des réserves sur le coaching comme solution magique, se gausser de l’enthousiasme américain, si naturel en VO mais si difficilement restitué en français, cependant on ne doit pas oublier que tout est bon à prendre et qu’ici la bonne volonté de l’auteur est manifeste, sans compter qu’il connaît son sujet.


Et justement, ce que j’ai appelé le deuxième ensemble du livre est en fait un gros chapitre davantage axé sur une méthode de thérapie personnelle, car Gray sait qu’au-delà des tendances innées, il y a un passif personnel et des blessures qui entrent aussi en jeu dans nos relations. Il va même jusqu’à dire que lorsqu’un trouble nous saisit, notre histoire entre à 90% dans son émergence, plutôt que la circonstance immédiate qui agit surtout comme un déclic.

Aussi prend-il le temps d’expliquer et d’apprendre au lecteur l’exercice dit de « la lettre d’amour ». Titre pouvant sembler un peu incongru car il s’agit en fait de rédiger une lettre dans laquelle on « vide son sac », mais de manière structurée et suivant un plan bien défini (on y exprime successivement sa colère, sa tristesse, son inquiétude, son regret, pour conclure avec une affirmation renouvelée de son amour ; je pense que c’est en ce sens que la « lettre d’amour » est appelée ainsi, moins par sa teneur globale que par la progression cathartique du sentiment vers l’apaisement et la finalité de réconciliation qu’elle vise).

Par ailleurs, cette lettre n’est pas forcément destinée à être lue par le conjoint, voire même peut ne pas s’adresser à lui. Ayant pour but en effet d’exprimer et traiter nos blessures, elle peut avoir pour destinataire une tout autre personne de notre entourage, vivante ou décédée, et pour autant ne pas avoir vocation à être lue par la personne en question. La seconde étape de l’exercice consiste à écrire (nous-mêmes, ou demander au conjoint de le faire si et seulement si le moment est opportun) la réponse d’affection et de réconciliation que nous aurions souhaité avoir.

Enfin, à la rédaction de la lettre et de la lettre-réponse suit la lecture ensemble des deux missives, dans le but de rapprocher les deux personnes.

Au-delà de cet exercice, Gray donne d’autres conseils sur le travail de guérison intérieure, et parle des vertus de la lecture, de l’accompagnement, de la solitude comme de l’intimité, du groupe, etc.

Ce chapitre se referme un peu comme une parenthèse mais continuera néanmoins à colorer ponctuellement les pages suivantes qui reprennent le fil général du premier ensemble. Avec une différence toutefois. Si l’auteur avait jusque-là fait plutôt preuve d’un traitement équilibré des réactions féminines et masculines, vers la fin du livre il consacrera un chapitre entier à l’intention des femmes, en vue de leur expliquer comment demander des choses aux hommes et les obtenir d’eux, la problématique lui paraissant nécessiter un développement plus poussé que le simple recours à l’un de ces tableaux ou listes qui jalonnent le livre.

Pour autant, ceux-ci n’en demeurent pas moins denses et fort à-propos. À notre usage, l’auteur propose par exemple un fort amusant et néanmoins pertinent catalogue d’actions concrètes destinées à nous faire « marquer des points » auprès de l’autre. Il y a de quoi s’inspirer !


En conclusion...


Livre dont j’avais entendu du bien, et que je recommanderais en effet à mon tour. Il mérite son succès et vous fera probablement gagner un temps considérable sur la compréhension des rapports hommes-femmes tout en évitant les impairs les plus grossiers. Il va de soi qu’avec ce genre de littérature, il convient de garder toujours le recul nécessaire pour ne pas plaquer systématiquement ses grilles de lecture comme une interprétation infaillible à tout, mais si bien évidemment chaque cas est particulier, au moins l’auteur (qui a quand même un peu de bouteille et de légitimité en la matière) fournit-il quelques clés ou disons quelques pistes de réflexions pour analyser une situation, histoire de vérifier d’abord si vous n’êtes pas confronté(e) en fait à un schéma relationnel caractéristique. Ainsi vous donne-t-il un endroit par où commencer !

Cet ouvrage, nous l’appellerons donc utile, un peu à la manière d’un équipement de base, comme une pince dans une caisse à outils, un fait-tout dans une cuisine, du paracétamol dans un tiroir pharmacie. Du robuste, du pratique, en simplicité avec légèreté et bienveillance, ce livre aide à dégrossir beaucoup d’éléments importants sinon essentiels dans la compréhension de l’autre et ainsi à éviter les malentendus les plus courants, de sorte à pouvoir s’atteler à des chantiers plus en profondeur. Mais il y a déjà de quoi faire avec ce qu’on y lit. À bien noter que l’on reste là sur un plan purement psychologique des individus, et qu’il n’y est pratiquement pas question de paternité ou maternité (peut-être dans un autre bouquin de sa série?), ni de spiritualité qui forcément ajoute une dimension signifiante et eschatologique particulière à nos relations. Ce n’est pas ici le but, mais cela ne contredit ni ne disqualifie en rien ces autres aspects, pour ne citer qu’eux.


J’ai donc bien aimé :

Le fil est plutôt facile à suivre et la progression de l’exposé lisible. L’auteur s’en tient aux principes généraux sans explorer trop de cas trop subtils, et rappelle régulièrement ceux-ci de sorte que la mémorisation est plus facile.

Le talent vulgarisateur de l’auteur, bien servi par un contenu structuré et qui brosse une vue d’ensemble assez réussie des enjeux.


J’ai peut-être moins aimé :

La traduction de l’anglais américain avec le choix de certains mots (notamment le zoologique et commercial « partenaire » partout).

Le style un peu « retranscription de conférences », qui s’il est globalement fonctionnel, et même parfois efficace dans certains ouvrages (cf. le génial Pr. Alphonse d’Heilly, et encore, sur les notes de son auditoire), peut ici être moins exaltant à lire qu’à écouter.


GRAY John, Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus, Editions J'ai lu, 2019, 352p


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