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Larmes de femmes 1/2

De tristesse, de douleur, de fatigue aussi, de colère, de révolte ou même de joie, les larmes reflètent un peu des remous de notre âme. Jaillissant parfois sans retenue, elles peuvent nous submerger avec une violence déconcertante, débordement incontrôlable de nos mouvements intérieurs. Plus silencieuses, elles peuvent perler de façon très discrète, témoin presque muet d'une émotion timide... Il arrive même qu'elles restent enfermées, bloquées, empêchées...


On dit que les larmes lavent l'âme. Oui, elles peuvent soulager, consoler, détendre. Et parfois porter du fruit.


C'est sur cette fécondité des pleurs que s'est penché Père Valentin, qui nous offre ici quelques lignes. Merci !




La fécondité des pleurs de femmes dans la Bible


Les pleurs relèvent de l’expérience commune. Ils rapprochent le texte biblique de son lecteur pour l’y faire entrer davantage. L’étude des pleurs permet une réflexion sur la détresse humaine, éclairée par ceux qui dans l’Écriture ont crié vers Dieu.

Au cours de ma recherche est apparue une scène-type récurrente : une femme pleure ; Dieu lui répond. C’est comme ça que le sous-titre « la fécondité des pleurs de femmes dans la Bible » fut trouvé, en lien avec l’enfantement parfois difficile des personnages bibliques.


NB : Cet article se lit avec une Bible à la main ; il s’agit d’un parcours à travers quelques passages de l’Écriture.




Les larmes d'Hagar : un langage sans un mot (Gn 21)

Les premiers pleurs de la Bible sortent des yeux d’Hagar, la servante d’Abraham. Ils sont en lien avec les problèmes de fécondité qui se trouvent au cœur de l’histoire d’Abraham, malgré la promesse par le Seigneur d’une descendance. Comme Sara n’enfante pas, Abraham se tourne vers sa servante, qui enfante Ismaël.


Mais lorsque l’enfant de Sara vient enfin au monde, Hagar et son bébé deviennent indésirables, et se retrouvent dans le désert, chassés par leur maître et père. Lorsque l’outre donnée par Abraham est vide, Hagar est face à la mort. C’est alors qu’elle élève la voix et pleure. Et Dieu entend. Il entend sa détresse et celle du garçon.

Le texte nous montre que le Seigneur se fait proche de ceux qui crient vers lui.

L’ange du Seigneur apparaît alors à Hagar, le même qui lui était déjà apparu en Gn 16. A travers la recherche des pleurs, nous découvrons qu’Hagar est également la première à avoir eu une apparition, en plus d’être celle qui donne son premier enfant à Abraham. Comme servante dont Dieu entend l’humiliation, la figure d’Hagar trouvera un grand écho dans le début de l’Évangile selon saint Luc.


Nous remarquons également que c’est une femme qui souffre mais ne se plaint pas. Les seules paroles qu’elle prononce sont adressées à l’ange. Le texte nous permet donc de mettre en évidence que ses pleurs sont un langage encore plus parlant que les paroles.

C’est un langage incarné, qui intervient avant ou après les mots, lorsque la détresse empêche de parler. Et ce langage peut aussi être attribué à l’enfant, qui ne sait pas encore parler.

En lisant plus bas le texte, les pleurs d’Hagar se révèlent comme l’élément déclencheur qui lui ouvre les yeux sur le puits que Dieu lui indique [1]. Il y a un rapprochement à faire entre les yeux d’Hagar et la source d’eau, puisque ces deux mots ont la même racine en hébreu (עינ).

Les pleurs d’Hagar, comme un cri vers Dieu, sont source de salut pour elle et pour son fils. Ils lui permettent d’ouvrir les yeux. Par les échos qu’elle trouve dans la suite des Écritures, la servante d’Abraham a une grande fécondité.



Les pleurs de Ruth : le lieu d'un choix (Rt 1)

Le parcours à travers quelques pleureuses de la Bible s’arrête ensuite sur Ruth, la troisième femme citée dans la généalogie de Jésus (Mt 1). Elle est le modèle de la femme étrangère qui est plus attachée au peuple d’Israël et au Seigneur que les Israélites eux-mêmes.


Elle entre en contact avec le peuple par son mariage avec un des fils d’Élimélek, un Israélite qui fuyait la famine en Israël. A la mort d’Élimélek et de ses deux fils, leurs trois veuves cheminent ensemble : Noémi et ses deux belles-filles moabites, Ruth et Orpa. Noémi leur propose à toutes deux de retourner dans leur peuple. Elle les embrasse et toutes deux se mettent à crier et pleurer. Après discussion, Orpa embrasse sa belle-mère et s’en va, mais Ruth reste avec elle. Elle se dit attachée au peuple d’Israël et à son Dieu, qu’elle appelle par son nom : le Seigneur (le tétragramme dans le texte hébreu).

Les pleurs de ces deux femmes, Ruth et Orpa, leur permettent d’entrevoir le choix que chacune doit faire pour son avenir.

Pour l’une, c’est de retourner vers son peuple, pour l’autre, c’est de s’attacher jusqu’à la mort au peuple de son défunt mari. Le texte nous fait sentir ensuite que Ruth, par son obstination, suit la route de Tamar, la première femme dans la généalogie de Jésus (Gn 38). C’est son attachement au peuple qui permet à Booz d’enfanter, comme Juda en son temps, et de faire continuer la lignée qui sera celle de David puis de Jésus.

Par son choix, fait dans les pleurs, elle s’insère donc dans la liste de celles et ceux qui font advenir le Messie.



Les pleurs de la fille de Jephté, son chemin de vie (Jg 11)

La femme suivante sur laquelle nous nous arrêtons est moins connue. Elle n’est même pas nommée par la Bible. C’est « la fille de… », et son père fait un vœu où il semble avoir droit de vie et de mort sur elle. Il s’agit de la fille de Jephté.


C’est dans un contexte de guerre contre les fils d’Ammon que son père fait le vœu suivant : si le Seigneur lui livre ses ennemis, il offrira en holocauste quiconque sortira de sa maison pour venir à sa rencontre.


Lorsqu’il revient en vainqueur, sa joie se transforme en désespoir car il voit sa fille sortir à sa rencontre. Le texte insiste sur le fait qu’il est d’autant plus malheureux que la fille en question est son enfant unique.


Mais celle-ci ne se rebelle pas. Elle encourage son père à tenir la parole dont il ne peut pas se défaire, parce qu’il a ouvert sa bouche vers le Seigneur. Le texte biblique ne s’étale pas sur l’accomplissement du vœu, mais plutôt sur la demande que fait la fille d’aller trois mois dans les montagnes pleurer sa virginité. Ce sera à l’origine d’une coutume pour les filles en Israël.


Nous voyons là un lien entre les pleurs et la fécondité qui traverse tous nos passages.

Par cet épisode, ce sont aussi ceux qui pleurent en cachette dont la Bible parle.

La fille de Jephté ne cherche pas à être consolée, mais à éprouver ce qui lui arrive.

Il y a un parallèle à faire avec le verset du prophète Jérémie (Jr 13, 17) où il semble que Dieu lui-même pleure [2].

Il arrive que Dieu rejoigne ceux qui pleurent pour pleurer avec eux, plutôt que de les consoler.




Le Seigneur ouvre les yeux de ceux qui Le cherchent, de ceux qui crient vers Lui et Le supplient dans les larmes. Il donne une fécondité là où nous n’attendons plus rien. Il utilise nos pleurs, tout en nous en promettant la fin, lorsque nous serons auprès de Lui.





[1] Voir Nb 11 où les pleurs des Hébreux affamés les ouvriront à la nourriture de Dieu. [2] Lire là-dessus C. Chalier, « Les lieux secrets de l’Eternel », Traité des larmes (Paris : Albin Michel, 2008), 89-92.

Père Valentin

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