Couple : la dispute est-elle nécessaire ?
- Isabelle C.
- il y a 2 jours
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Le trésor de l’altérité
Se disputer, signe de bonne santé ?
Un bruit court selon lequel les disputes sont le signe de la bonne santé d’un couple : un couple qui ne se disputerait pas signifierait que l’un et l’autre se réfrènent, en n’osant pas exprimer vraiment leurs souhaits, leurs désirs. Finalement, se disputer devient alors la preuve que nous pouvons être exécrable devant l’autre, tant nous avons confiance dans l’amour qu’il nous porte. Un peu comme l’enfant qui est insupportable avec sa mère parce qu’il sait au fond de lui qu’elle l’aimera toujours, quoiqu’il arrive.
Je crains que cette vision des choses soit cependant une énième justification à la difficulté que nous rencontrons parfois à vivre l'unité conjugale qui est notre vocation : l'union des cœurs qui fonde celle des corps. Or nous ne sommes plus des enfants. Pire, en faisant parfois des disputes le quotidien de la vie conjugale, nous risquons d’y trouver une vibration malsaine, celle qui nous révèle encore vivant alors que le couple se meurt, à petit feu. En effet, la dispute engage nos émotions, notre adrénaline. Je crie, donc je suis. Peu importe si l’autre meurt ou est blessé au combat. Cet autre que j’ai choisi d’aimer pour toute ma vie, mais aussi parfois cet autre qui entend, l’enfant qui se tient dans la pièce – ou celle voisine – et qui subit les échanges houleux de ses parents.
Non, certainement, je ne peux me résoudre à l’idée qu’il faudrait se disputer pour s’aimer, ou que la dispute serait une preuve de l’amour. Je crois qu’un autre amour est possible et que nous devons rechercher activement une vie conjugale unie. Pour le bien de l’être aimé, pour notre bien et celui de toute la famille. Pour mieux répondre au commandement de l’amour.
La dispute blesse l’amour
Tout d’abord, qu’entendre par disputes ? Certains les connaissent bruyantes et trébuchantes. Il y a des cris et parfois des lancers d’assiettes ou des portes qui claquent. D’autres les connaissent plus silencieuses. Elles enferment alors les êtres aimés chacun de leur côté, dans leurs bouderies et silences éloquents, traversés par les multiples pensées noires qui insultent et calculent. En pensées, en paroles, par actions et par omissions, nous nous disputons.
Il faut parfois beaucoup de courage pour couper court, pour stopper la spirale de mort qui détruit le lien conjugal. Car dans ces moments-là, la connexion à l’autre n’est plus là. Le désir de l’autre n’est plus là. Et il n’est rien qui fasse plus plaisir au Malin que ce qui détruit et distend l’amour.
« Le mal ne triomphera pas ! ». Faisons nôtre l'une des premières paroles du pape Léon XIV le soir de son élection et refusons de faire de la dispute le piment du couple.
Consentir à l’altérité
Notre société est blessée. Nous sommes les enfants d’une société qui refuse l’altérité, qui refuse que l’autre soit différent, qu’il agisse différemment et qu’il pense différemment. Bien souvent, de cette blessure découle un attachement surdimensionné aux émotions qui nous traversent, comme si elles devaient nous dicter nos choix. Nous voilà susceptibles, incapables de recevoir l’autre, de recevoir de l’autre ce qu’il a à nous dire. Nous nous vexons, nous contre-attaquons, nous combattons.
La famille doit être un rempart à cette confusion qui se diffuse dans notre société : je suis aimée parce que l’autre me comprend. Et si l’autre ne me comprend pas, c’est qu’il ne m’aime pas. Cela est un mensonge. Bien sûr, dans la recherche de l’harmonie conjugale, il y a une soif de comprendre l’autre. De comprendre qu’il est fatigué et qu’il n’a pas envie de parler, de comprendre qu’il ne voit pas la même chose que nous : la pile de vêtements qu’il enjambe dans les escaliers … Mais avant cela, il faut accepter que l’autre soit autre. Il faut aimer l’altérité. Je suis aimée par cet autre et j’aime un autre que moi-même.
Examinons donc notre manière de réagir face à l’autre : est-ce que je prends chacune de ses remarques pour une attaque personnelle ? Est-ce que même ses questions me vexent et me blessent ? Suis-je parfois énervée, à cran, par le seul fait de sa présence ? Y a-t-il dans notre relation beaucoup de disputes, beaucoup de cris, de remarques acerbes, de couchers en position latérale opposée, de silences de mort, de bouderies ? Avons-nous fait de la dispute le piment de notre couple ?
Choisir de renoncer au mal
Si la dispute est devenue le piment de notre couple, sommes-nous prêts à changer ? A renoncer à ces modes opératoires qui alimentent une relation certes épicée et haute en couleur mais usante sur le long terme ? Se disputer, c’est attaquer l’autre parce qu’il est autre. C’est refuser cet autre que le Seigneur me confie comme chemin vers le ciel. Plutôt que de faire des disputes le signe d’un couple qui se dit les choses, acceptons que les disputes soient le signe d’un manque d’acceptation de l’altérité, le signe d’une difficulté à communiquer.
Regardons la réalité en face : nos blessures, toutes ces paroles échangées dont l’écho reste dans le cœur parfois au-delà des pardons exprimés. Pensons à nos enfants, à la peur que représente pour eux chacune de nos disputes tandis qu’ils grandissent dans un monde où au moins un camarade de classe sur deux vit entre deux foyers car ses parents se sont séparés.
Choisissons donc l’exigence d’un amour vrai, qui repose non pas sur la fusion mais sur la communion. D’un amour adulte et mature, qui accepte de ne pas être deviné par l’autre et de ne pas saisir complètement l’autre. Choisissons fermement, avec la grâce de Dieu, la grâce qu’Il nous donne dans le sacrement du mariage, d’aimer en vérité et de renoncer au mal.
Un outil intéressant : le rendez-vous hebdomadaire
Pour réparer le manque d’altérité dans un couple, un bon outil peut être de lui redonner sa place en prenant rendez-vous. De préférence toutes les semaines, et parfois tous les quatre jours, notamment lors de la mise en place.
Il s’agira dans un premier temps d’apprendre à dire les choses posément, et d’apprendre à écouter les choses posément, autrement dit, d'apprendre à recevoir. Pour cela, il s’agit de prendre un temps chronométré où chacun parle avec la certitude que l’autre ne prendra pas la parole. Par exemple, dix minutes chacun.
La première fois, il y aura peut-être besoin de beaucoup plus de dix minutes : l’essentiel est de garder à l’esprit de ne pas interrompre l’autre. Cette première fois, il y aura peut-être du lourd, toutes ces choses qui se sont accumulées pendant des jours, semaines, mois voire années. Prenons le temps. Acceptons d’entendre ce que l’autre exprime. Acceptons peut-être aussi que ça puisse faire de la peine, car une période sans communication laisse forcément des traces.
Pour essayer d’être le mieux écouté possible, donnons-nous des règles :
Parlons à la première personne et bannissons la deuxième, ce « tu » qui tue
Exprimons des demandes plutôt que des reproches
Dans l’idéal, commençons par remercier l’autre pour ce qu’il est/fait avant d’exprimer d’éventuelles demandes (ceci est beaucoup plus facile à partir du deuxième rendez-vous, si le premier a permis de réunir les cœurs)
N’oublions pas de rappeler à l’autre qu’il nous est cher, que nous l’aimons…
Si nous avons tendance à être susceptible, rappelons que dans l’exercice, c’est
l’autre qui se révèle plus que l’autre qui juge. Par exemple, si mon mari me dit « j’ai une demande : pourrais-tu s’il te plaît ne plus laisser de mouchoirs trainer sur ta table de nuit ? » ; je peux être tenter d’entendre « tu es une grosse dégueulasse à laisser tes mouchoirs trainer partout » mais je dois en réalité entendre « mon mari a besoin de ne plus voir de mouchoirs trainer ». Si je prends l’habitude d’entendre les demandes non comme des reproches mais comme l’humble demande de mon époux, alors en répondant à sa demande, je sais que je pose un acte d’amour.
La répétition hebdomadaire de cet exercice permet de laisser décanter les choses : on sait qu’on pourra reparler de tel ou tel événement la fois suivante. Cela permet également de ne pas laisser fermenter trop longtemps et d’éviter le phénomène de cocotte-minute qui favorise les disputes explosives.
Normalement, plus cet exercice est régulier, moins il devient lourd et plus cela devient un moment privilégié pour révéler à l’autre l’amour qu’on lui porte. Cela est l’occasion de remercier son conjoint d’avoir répondu à nos demandes, cela est l’occasion de redire à l’autre combien on l’aime. C’est comme le sacrement de la réconciliation, même si toute comparaison à ses limites bien sûr : plus on se confesse régulièrement, plus il devient facile de revenir vers le Seigneur parce que notre cœur est transformé dans une relation vivante d’amour.
Si la dispute est devenue notre moyen principal de communication, testons ce rendez-vous hebdomadaire. Plaçons-le sous le regard du Seigneur afin de permettre à l’Esprit Saint d’agir. Nous verrons combien ce rendez-vous est un outil puissant qui permet de laisser décanter les choses sans pour autant leur laisser le temps de fermenter. Si l’homme et la femme prennent conscience du trésor que ce temps d'échange représente, il y a fort à parier que, des nombreux fruits qui en découleront, ceux de la paix et de l’amour en acte et en vérité seront présents !
Une posture à adopter
Aimer en vérité suppose d’accueillir pleinement l’altérité. Mon époux ou mon épouse doit être respecté dans son altérité. Nous ne voyons pas les choses de la même manière, nous n’avons pas les mêmes priorités, nous ne ressentons pas la même chose. La communion conjugale n’est possible que s’il y a un amour profond de l’autre parce qu’il est autre.
Oui je peux être exaspérée, je peux être tendue, je peux être attristée par les actions, réactions ou paroles de mon mari mais mon époux n’est pas responsable de cela. Il me faut sans cesse me rappeler cette altérité qui fait notre richesse. Les émotions qui me traversent disent quelque chose de moi-même : pourquoi me vexer ? Pourquoi suis-je sensible à telle parole ? Pourquoi suis-je sur la défensive en permanence ?
N'est-ce pas un manque de confiance en moi ? Un besoin personnel de reconnaissance qui n’est pas comblé et que je devrais exprimer ? Une fatigue grandissante qui me fait réagir ainsi ? Nos réactions, les émotions qui nous traversent, ne doivent pas nous couper de la relation à l’autre. Elles sont un trésor pour nous aider à comprendre qui nous sommes et ce que nous devons réajuster. Aussi, lorsque je réagis à l’autre par des émotions de colère, de vexation, de ressentiments ou autre, dois-je prendre conscience rapidement de ce qui me traverse pour comprendre pourquoi je réagis ainsi. Cette posture permet de couper court aux tensions et de revenir vers l’autre avec des demandes plutôt que des reproches.
La prière, ciment du couple
Lorsque les relations sont tendues, il peut être très difficile de tenir dans la fidélité à la prière conjugale. Pourtant, c'est bien le premier acte des époux après l'échange des consentements. Nous sommes appelés à vivre cette prière conjugale qui nous replace devant notre créateur.
Léon XIV a pris comme devise : "En celui qui est un, soyons un". Devant les difficultés, n'ayons pas peur de nous tourner vers Celui qui est un pour retrouver l'unité à laquelle notre couple est appelé. Si cela est trop difficile, peut-être peut-on recommencer sur ce chemin en prenant tous les deux un temps de prière silencieuse ?
Ne pas hésiter à se faire aider
Enfin, il peut arriver que l’aide d’un tiers soit bienvenue lorsque les nombreuses disputes ou multiples non-dits ont gravement altéré la communion des cœurs. Ne lésinons alors pas sur les moyens, et demandons à des personnes expérimentées et avec un regard extérieur une aide salutaire : conseiller conjugal, psychologue, prêtre formé sur ces questions. L’aide d’un tiers peut être plus que bienvenue pour prendre le recul nécessaire et retrouver les bons outils de communication.
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