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Conte de Noël



Quelque chose ne va pas. Ils s’agitent un peu trop là-haut. Ce n’est jamais bon signe. Du coin de l’œil, le Superbe voit bien que dans le camp de son ancien Maître, on volète dans tous les sens, on attend, on est suspendu. Mais à quoi ? L’Ennemi, qu’il perçoit, marche nerveusement, comme s’Il attendait une issue, comme si Lui qui est sensé tout savoir, là, n'était impatient.

Pourquoi agissent-ils ainsi ? Le Superbe ne comprend pas. Tout à inspirer au cœur des hommes qu’il exècre la bonne conscience du pharisien, les principes de l’hypocrite et l’agitation de l’activiste, il laisse ses sbires lui faire des comptes rendus sur tout ce qui serait anormal sur cette Terre où il est si facile de gangréner les plans de l’Ennemi.


Pourtant rien de particulier ne s'y passe… Bien sûr il y a cette ignoble créature que le Superbe n’a jamais pu approcher, une jeune fille que l’Ennemi semble « aimer » (rien que le terme inspire la nausée au Superbe) puisqu’Il sourit à chaque fois qu’elle s’adresse à Lui. Ridicule. Cette exécrable création divine qui semble être sur le point d’accoucher, en plein voyage. Le Superbe esquisse un mauvais sourire. Son plan est parfait. Pour enfin trouver sa voie dans le cœur de cette sainte-ni-touche, il a eu cette idée d’inspirer l’obligation de ce voyage au pire moment de sa grossesse, comptant sur la douleur, la fatigue, l’administration, la limite du corps humain, les gens, et surtout le soin qu’il a pris à remplir toutes les hôtelleries sur sa route, pour enfin réussir à la voir au moins pester ! Jusqu’ici, tout se passe bien. La jeune fille a l’air sur le point de défaillir, elle va bien finir par se plaindre quand même ! Les hommes n’ont jamais déçu le Superbe. Bien sûr certains ont un peu trop tendance à garder cette foutue Espérance, mais depuis qu’il a fait chasser de l’Éden ces deux idiots d'Adam et Eve, il s’amuse bien à pourrir tous les plans de son ancien Maître. De toutes façons rien ne pourra rattraper l’offense suprême que ces deux gamins ont fait subir à l’Ennemi.


Bref. A part ce voyage pour la petite jeune fille et son imbécile de mari qui n’ouvre jamais la bouche, rien d’exceptionnel. En cette nuit d’hiver, les membres du Peuple soi-disant Élu par l’Ennemi se sont réunis pour une de leurs fêtes auxquels on ne comprend rien. Le Superbe a pris soin de distiller dans tous les cœurs un agacement certain face aux autres, une tension inutile vis-à-vis de l'organisation, un appétit d’ogre pour oublier le vrai sens des choses, et surtout une agitation perpétuelle, car c’est dans l’agitation que le Superbe s’amuse le plus.


Non ça ne peut pas être bon. Dans le doute, le Superbe hèle avec violence un de ses sbires qui passaient par là. Sur un ton grinçant, il lui intime l’ordre d’aller voir de plus près ce qui se passe Là-Haut, et de lui faire un rapport. Dédain peste. Certes il n’est pas heureux d’avoir suivi le Superbe, car même tourmenter les hommes ne fait pas taire la haine qui crie en lui. Mais rien qu’à l’idée de devoir aller regarder ce qui se passe dans le camp de l’Ennemi, Dédain sent encore à quel point il a en horreur son ancien Maître.


Alors Dédain se dirige avec rage vers les grilles de Là-Haut. Il ne tentera pas d’y rentrer, son séant brûle encore de la déculottée que leur a mis le terrible Michel lorsqu’il a fallu en partir. Mais en restant à l’entrée, il verra bien quelque chose ! Quoi que ce soit qu’il puisse rapporter au Superbe. Et ce que Dédain voit le surprend.


Au milieu de tout ce monde à plume qui gigote, les Séraphins, éblouissants de cette horrible lumière divine, ambassadeurs de cette peste écœurante qu’est « l’Amour », sont de tous les ateliers pour réjouir chaque groupe angélique qui s’active. Ils vont et viennent, comme des lucioles excitées, avec toujours cet éternel sourire niais qui agace tant Dédain. Ils entourent l’Ennemi que Dédain ne peut voir, mais devine, là, dans cette étrange brume étoilée. L’Ennemi qui semble marcher en long en large, comme s’Il attendait quelque chose, comme s’il avait hâte qu’aboutisse une longue attente…

Puissances et Dominations sont penchées vers la Terre, du haut du Belvédère lunaire, et chacun avec sa longue vue scintillante décrit ce qui s’y passe à chaque instant. Quelle idée de regarder sur Terre. Les hommes sont si méprisables ! Au moins autant que Dédain les hait. En plus, il a comme l’impression que les lunettes sont tournées vers Bethléem, petit patelin de Palestine dont on s’est toujours dit que rien ne pourrait sortir de bon ! C’est bizarre.

Dans un coin, les Chérubins et les Trônes ont rangé une grande échelle de Lumière, et sont en train de la nettoyer avec soin, comme pour manifester qu’elle va être remplacée. Dédain hausse les épaules. Il n’a jamais rien compris à ce petit jeu divin de ne jamais dire les choses clairement, de jouer aux énigmes et aux devinettes avec ses imbéciles d’humains.

Les Principautés, ces gardiens de la paix divine, font régner l’ordre dans ce joyeux bazar. L’air très calme, comme possesseurs d’un secret, ils orientent les différents anges là où leur présence sera utile, saura mieux « Servir Dieu ». Dédain lève les yeux au Ciel, qu’il regarde déjà d'ailleurs. Servir ! Eux qui sont si beaux, si parfaits, pourquoi devraient-ils servir ? D’autant que l’Ennemi avait depuis longtemps révélé son projet de créer les hommes. Un vrai scandale. Même si Dédain déteste son patron, il préfère le camp du « Non Serviam » à celui d’un Dieu aussi écœurant d’amour.

Et au milieu de tous les anges qui vont et viennent, un chœur répète avec soin des cantiques qui vrillent les oreilles pointues de Dédain. Dirigé par Gabriel, cet archange-Monsieur-Perfection, le chœur prépare des chants de joie et d’allégresse, mais pour qui ? Il ne manquerait plus qu’ils se fassent des concerts de musique au Ciel ! De la musique en plus. Ça ne sert à rien ! Décidément Dédain ne comprend rien à ces folies.


Mais où est Michel ? Dédain n’est pas serein. Bien sûr il n’a passé aucune limite, mais il ne veut pas se frotter à « qui est comme Dieu », aussi agaçant que terrifiant. De loin, Dédain repère l’archange à l’épée de feu. Michel est parti vers un département un peu plus loin, que Dédain ne connaît pas, où attendent patiemment ce qui semblent être des hommes, mais beaucoup plus beaux, si tant est que les hommes puissent être beaux. Au milieu de cette assemblée, Dédain croit reconnaître un couple timide, dans un coin, vêtu de peaux de bêtes, qui le premier s’était laissé piéger par le Superbe. Aucun intérêt. Tous les hommes perdus pour le Ciel sont bons à prendre, mais une fois cet objectif atteint, ils ne présentent plus aucun intérêt. Tout ce qui compte c’est d’entraver le plan de l’Ennemi.


C’est alors que Dédain remarque des rayons de lumière qui lient le Ciel et la Terre. Tandis que certains anges sont en train de faire reluire une étoile bien plus grosse que les autres -tiens c’est bizarre, Dédain ne l’avait jamais remarquée cette grande étoile-, plusieurs Vertus, accompagnées de Raphaël, le pèlerin du Ciel, se relaient vers Bethléem. Ils entourent la jeune fille que le Superbe hait plus que tout. Dédain ne comprend pas cette haine d'ailleurs... Comme si cette frêle créature pouvait l’écraser lui, le Superbe, le porteur de Lumière !

Dédain se penche vers la Terre. Le Superbe doit être content, le petit couple n’a trouvé de place nulle part ! Il règne dans Bethléem une grande agitation, on ne prend pas le temps de se poser, on se perd dans des détails matériels sans importance. Marie et Joseph -quels noms affreux !- ont fini par se reposer à l’extérieur de la ville, au pied des collines aux moutons, dans une petite cahute de pierres, qui abrite les troupeaux, et se retrouve à accueillir de drôles de bêtes ! Un bœuf y était gardé déjà, le petit couple monté sur un âne ne doit pas être déçu du voisinage !


Et au milieu des Vertus qui soufflent sur Marie, avec Joseph qui semble ne pas en croire ses yeux, la petite créature donne naissance à un bébé. Peuh ! Un autre humain ! C’est pour ça qu’ils s’activent tous là-Haut ? Décidément ils sont fous.

A peine la jeune maman a-t-elle tendu le petit d’homme à Joseph, qui le saisit avec délicatesse et vénération (??) et l’emmaillote dans son manteau – la nuit est fraîche -, que Dédain voit le chœur qui répétait encore il y a quelques secondes voleter vers des bergers qui dorment sur les collines. Ça va plaire au patron. Si Dédain sait quelque chose des hommes, c’est qu’ils n’aiment pas être réveillés quand ils dorment, à chaque fois ils réagissent avec un agacement qui ravit toujours le Superbe.


Bon il en a assez vu. Dédain revient en enfer tranquillement faire son compte rendu au patron. « Rien d’important patron, d’ailleurs ils sont fous Là-Haut, sur terre celle que vous détestez a juste mis bas d’un autre humain. C’est vraiment dégoûtant. D’ailleurs ils sont tous tellement écœurants ! D’ailleurs elle a dû en baver, avoir bien mal, grâce à vous d’ailleurs patron, les femmes auront toujours mal ! Nul doute que vous allez finir par l’avoir ! D’ailleurs… » D’un regard empli de haine le Superbe fait taire Dédain, qui sent venir les coups de fouet de son patron, et ne demande pas son reste.


Un humain. C’est juste un humain qui est né au milieu de nulle part. Là-Haut ils ne semblent plus se contenir de joie... Mais pourquoi? Qui est-Il ce Nouveau-Né? Serait-ce ce fameux "Messie" dont les hommes attendent la venue, et que lui, le plus beau, le porteur de Lumière, saura bien contrer? Le Superbe hausse les épaules. Pour naître dans des conditions aussi misérables, ce ne peut être que quelqu'un de négligeable. Mais si le Superbe ne comprend rien des vues de l’Ennemi, il sait que son ancien Maître est toujours logique avec Lui-même. Cet humain doit être spécial. Un nouveau prophète peut-être.

Sur la Terre comme au Ciel, les chœurs angéliques emplissent l’espace de cantiques insupportables. L’Ennemi sourit à n’en plus finir, même dans le département subalterne du Ciel, les hommes qui y demeuraient tranquillement semblent contents. Dans l’Étable, la jeune créature se repose ; son mari, silencieux comme à son habitude, berce le nouveau-né et le présente avec une joie calme mais immense aux bergers qui, bizarrement, ont interrompu leur nuit pour aller voir ce petit d’homme.


Le Superbe a un mauvais pressentiment. Il sait qu’il devra garder à l’œil ce nouveau prophète. L’étudier avec soin pour savoir où et comment le faire tomber. Les anges chantent sans fin qu’un « Enfant leur est né », ponctuant leurs chants d’« Alléluia » excessivement énervants. Non décidément, rien de tout ça n’est normal. Sans vraiment savoir pourquoi, le Superbe sent que sa fin est proche.


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