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Quelle réaction devant l'imprévu ?

Quelques bribes de réflexion sur la Providence


Note préalable à l’attention du lecteur : j’ai commencé à rédiger cet article le 22 février ; entre temps il y a eu de nombreux imprévus qui m’ont permis d’éprouver les lignes que j’avais commencé à rédiger. Mon ordinateur s’est par exemple éteint sans prévenir au moment même où je devais publier cet article, en février dernier, alors que j’écrivais la phrase « il nous faut accepter les imprévus ». C’est donc plus de deux mois plus tard, et quelques imprévus en plus, que je reviens vers vous. Une chose est sûre, je suis tombée dans tous les travers que je décris. Je ne prévoyais pas, en commençant cet article, que le Seigneur s’en serve pour faire grandir ainsi l’humilité de son auteur, qui croit parfois tout comprendre, mais qui peine à vivre en plénitude les lignes qui sont les siennes... Gloire à Dieu !



22 février 2020. Je pousse la porte de l’église. J’ai dix petites minutes d’avance qui peuvent expliquer que la place soit déserte mais je sais bien, au fond de moi, que ce n’est pas bon signe. Oh non, me dis-je, tu vas voir que tu t’es trompée et qu’il n’y a pas de messe le lundi matin ! – et oui, je suis assez bavarde pour trouver le moyen de me parler à moi-même. En pensant donc à la logique de la chose, à savoir que le lundi matin, le curé se repose un peu, je pense également à mon manque de réflexion ce matin, quand d’un bond décidé, je me suis levée en décidant fermement de ne pas rater la messe en l’honneur de la chair de saint Pierre qui chaque année prend le dessus sur la fête de ma bienheureuse patronne. Les minutes passent. Toujours rien. Pas encore de sacristain. Je me suis bel et bien trompée. Et après avoir avalé mon petit déjeuner en un temps records pour essayer de ne pas rogner sur le jeûne eucharistique, après avoir cherché partout mon casque de vélo, stressé parce que je n’aime pas être en retard, et pédalé tout ce que j’ai pu pour arriver à temps, il faut le dire, j’ai dû mal à digérer qu’il n’y ait pas de messe ! Je suis déçue. En colère contre moi-même. Je pense à Paris. Au moins, là-bas, ils ratent la messe de 8h30, ce n’est pas un drame, ils peuvent en retrouver une dizaine à tous moments de la journée... je me mets à envier, à regretter d’avoir quitté la capitale. Ça y est, la journée qui commençait bien ne se passe pas comme je l’avais prévue, et je broie du noir. Je crois même que me traverse l’esprit que j’ai perdu mon temps, ce matin, en faisant cet aller-retour pour rien.


Pour rien ? Là je crois que je vais un peu loin. Au fond de moi, se dessine le doux murmure d’une brise légère : « en tous cas, moi, je suis très heureux de te voir, Isabelle »

Pardon Seigneur ! Vous êtes là, devant moi, dans le tabernacle ! Et Vous, Vous n’êtes pas là depuis seulement dix minutes...


Comme le regard qui se pose sur moi est infiniment bon, je vois bien qu’il me faut cesser de culpabiliser sur ce qui vient de se passer. Il me suffit d’être là. Je pensais être seule dans cette église vide. Mais en réalité, voilà qu’il m’est accordé un temps privilégié avec Dieu Lui-même ! Quelle chance ! Ce matin, le Seigneur permet que je sois là, devant lui, sans avoir rien à faire d’autre que d’être là ! Je regarde ma montre, il me reste du temps avant « la fin de la messe ». Que c’est bon, d’avoir le temps, d’arrêter pour une fois de courir et de se laisser aimer, tout simplement !


Le soir-même, en relisant ma journée, j’ai compris que ce petit événement pouvait en être un grand si son souvenir venait me rappeler que le Seigneur est infiniment présent à chaque instant de ma vie.


Les choses ne se passent pas toujours comme nous les prévoyons. Dans la contrariété, nous sommes invités à nous laisser visiter par la présence de Dieu. Cela requiert un acte de foi. L’imprévu, par définition, ne répond pas à ce que nous avions programmé. Néanmoins, il en est Un pour qui l’imprévu est pré-vu, de toute éternité, sans voler pour autant une once de notre liberté. Incroyable mystère de Dieu qui est, qui était et qui vient ! Etant Dieu, Il est là, infiniment présent, à chaque instant. C’est cela la Providence. C’est l’infinie présence de Dieu à chaque instant dans nos vies.


Parfois, nous ne voyons pas l’œuvre de Dieu dans nos vies. Puisque les choses ne se passent pas exactement comme nous l’avions prévu, nous décidons de reprendre les choses en main, pour qu’elles collent à notre projet initial.


Tant mieux si nous n’abandonnons pas nos rêves au moindre obstacle, tant mieux si nous persévérons ! Mais il est une ligne de crête ténue sur laquelle nous devons essayer de marcher pour avancer. De part et d’autre de cette ligne, deux écueils forment les versants qui nous mènent vers la vallée quand nous voudrions pourtant viser le sommet.


FORCER : La pente du volontarisme


L’activisme forcené est une fuite en avant. Je crois que, par ma propre volonté et mes propres moyens, je peux arriver à mes fins. Toute seule. Ce faisant, sans toujours m’en rendre compte, je me prends pour Dieu. Tellement focalisée sur l’objectif que je me suis fixée, je fuis ma vie en essayant d’en vivre une dont je rêve et qui n’est pas encore. A la force du poignet, je veux avancer. Si cela n’avance pas comme je le voudrais, je suis déçue. Parfois, je me prends un mur, là où j’aurais pu le contourner si j’avais accepté de me laisser guider un peu plus. Et je finis absente du présent, esclave de mes projections. Mais il n’est jamais trop tard pour accueillir la grâce de Dieu qui permet d’être pleinement vivant et présent à ce que le que le Seigneur me donne de vivre maintenant.


ABANDONNER : Le ravin de la résignation



La passivité est également une fuite de la liberté qui nous est donnée, et qui implique que nous prenions la responsabilité de notre vie. Parfois, nous sommes tentés de nous réfugier derrière ce que nous appelons – à tort dans ce cas – « Providence », en croyant que l’abandon à la Providence consiste à baisser les bras et à abandonner. Nous pouvons avoir une aspiration profonde, et ne pas parvenir à vivre pleinement le désir que nous avons au fond de nous. Nos échecs nous conduisent parfois au découragement – arme des plus efficaces de l’adversaire – et nous nous résignons. Quelle pente mortifère pourtant que celle-ci !


S’abandonner à la Providence ne veut pas dire abandonner notre liberté. Dieu est l’auteur de notre liberté : c’est Lui qui nous la donne !


Dieu ne nous veut pas ses pantins ! En cela la passivité sous prétexte de confiance en la Providence est une tromperie qui ne vient pas de Lui. Il faut tenir deux choses : la toute-puissance de Dieu d’une part, et la pleine liberté qu’Il donne à l’homme d’autre part.

Renoncer à ma liberté en choisissant la passivité revient à choisir la mort plutôt que la vie. Se réfugier sous l’invocation de la « confiance en la Divine Providence » pour justifier sa propre résignation est une tromperie. Nous nous trompons nous-mêmes, et nous rejetons le cadeau que le Seigneur nous fait en nous créant libres. Il est tellement plus facile et confortable de jouer les pantins : si je ne suis pas responsable de ma vie, si Dieu décide tout pour moi, et sans moi, alors je peux lui mettre sur le dos tout ce qui ne va pas chez moi, tout ce qui ne va pas dans ma vie. Et je finis aigrie, esclave d’une vie que j’ai renoncé à choisir. Les résignés sont des morts-vivants. Heureusement, avec la grâce de Dieu, il n’est jamais trop tard pour choisir la vie !


ACCEPTER : une ligne de crête à parcourir



Laissons-nous enseigner par notre Mère, la très sainte Vierge Marie, pour essayer de saisir la juste attitude à adopter devant l’imprévu. Le récit de l’Annonciation nous fait part du bouleversement que cette visite de l’ange a constitué pour Marie qui était alors fiancée à Joseph. Comment pourtant ne pas s’émerveiller devant le « OUI » de Marie, qui accepte de tout son cœur le plan de Dieu pour elle ?


« L’ange entra chez elle et dit :

‘‘ Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi.’’

À cette parole, elle fut toute bouleversée, et elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation. » Luc 1, 28-29


L’imprévu fait irruption dans la vie de Marie, qui est « bouleversée ». Pourtant, Marie ne plonge pas dans la contrariété, elle s’interroge sur ce que cela signifie. Il ne s’agit pas d’être sans émotions devant les événements que nous traversons, ni même d’en chercher systématiquement le sens, mais de chercher la présence de Dieu au cœur de ceux-ci.


« L’ange lui dit alors : ‘‘Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils ; tu lui donneras le nom de Jésus.

Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ;

le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ;

il régnera pour toujours sur la maison de Jacob,

et son règne n’aura pas de fin.’’


Marie dit à l’ange : ‘‘Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ?’’ » Luc 1, 30-34


Comment Marie place-t-elle sa confiance en Dieu ? La question que Marie pose à l’ange nous montre combien Marie est libre. Elle ne place pas en Dieu une confiance aveugle – sans liberté – mais une confiance aimante. Elle sait que Dieu l’aime. Son Cœur immaculé, qui jouit du privilège de n’être pas marqué par le péché par anticipation des mérites de son Fils, répond sans cesse à cet amour. En posant la question « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? », Marie prend acte de la réalité, elle ne la fuit pas. Cette question nous montre que Marie est profondément incarnée.


Sa question ne porte pas sur le monde, sur le regard que les autres vont porter sur elle dans une situation qui n’est pas « bien vue » - être enceinte sans être mariée – Marie ne se soucie que du projet de Dieu. Ainsi, elle laisse Dieu l’éclairer par l’intermédiaire de l’ange :


L’ange lui répondit : « L’Esprit Saint viendra sur toi,

et la puissance du Très-Haut te prendra sous son ombre ;

c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. » Luc 1, 35-37


La Vierge Marie s’investit pleinement dans ce projet divin, auquel elle consacre tout son corps, tout son esprit et toute son âme.


Marie dit alors : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Alors l’ange la quitta.

Luc 1, 38


Une Marie volontariste aurait sans doute posée de multiples questions afin de tout maîtriser : la manière d’annoncer la nouvelle à Joseph, la réaction de ce dernier, l’éducation de Jésus, l’avenir de cet enfant, etc. Une Marie résignée aurait répondu qu’elle n’avait pas le choix car, de toute façon, c’est le Seigneur qui décide. Or Marie nous montre ici le chemin de l’acceptation, qui seul honore la liberté que Dieu nous donne.


Marie offre une réponse libre car elle accepte la place qui est la sienne : elle ne prend pas celle de Dieu, ni ne renonce à le servir, elle se présente comme « la servante du Seigneur ».




La Providence n’a rien à voir avec la fatalité : liberté chérie, liberté bénie !


La liberté s’apprend et croît à force de poser des actes libres, qui servent la vie plutôt que la mort. La foi catholique détient un trésor, celui d’unir la pleine liberté de l’homme à la toute-puissance de Dieu par le mystère d’un Dieu unique, dont la Trinité révèle qu’Il est Amour.


Dieu est tout puissant : sans Lui je ne peux rien faire ; et Dieu m’aime infiniment : il me veut pleinement libre et cette liberté implique que Dieu me donne une dignité plus élevée que toutes les autres créatures.


Voilà pourquoi nous sommes invités à placer sans cesse notre liberté sous son regard et à Lui demander de nous enseigner cette liberté.


Suivre une ligne de crête requiert de la prudence, sans laquelle il est facile de dévaler la pente d’un côté ou de l’autre. Sans cesse nous sommes tentés d’ailleurs de refuser le plan de Dieu, en refusant d’entrer en relation avec Lui. Nous l’avons vu, le volontarisme nous pousse à refuser l’aide de Dieu tandis que se résigner conduit à refuser de collaborer à l’œuvre de Dieu en voulant le laisser faire sans nous. Or Dieu n’a pas choisi de faire sans l’homme. Le Salut de Dieu ne s’impose pas. Dieu n’impose rien, Il invite sans cesse au festin des Noces de l’Agneau. Nous sommes tous invités, sans exception.


Avant le baptême, Dieu cherche par tous les moyens à nous envoyer son invitation. Il cherche des messagers, des missionnaires, des fous de Dieu, des âmes qui se donnent à fond pour témoigner de la Vie du Christ ! Parfois nous refusons son invitation avant même d’ouvrir l’enveloppe, mais Dieu ne se décourage jamais et jusqu’à la dernière heure, Il invite. Parfois l’enveloppe est abîmée et nous la laissons au placard sans même avoir pris le temps de répondre à l’invitation...


Nous pourrions dire que les baptisés ont déjà répondu à l’invitation. Mais parfois ils oublient, ou sont tellement sollicités par ailleurs qu’ils ne prennent pas le temps de se préparer pour la fête. Comme le Seigneur est grand, Il envoie des rappels, Il propose des solutions pour que tous puissent s’y rendre. Même à celui qui s’est perdu parce qu’il a oublié de regarder la carte ou d’écouter le GPS, Il continue d’être là, présent, prêt à le guider si celui-ci daigne le solliciter.


Aussi, en tous temps et en toutes choses, mettons-nous en présence de Dieu. Il changera nos contrariétés en joie et allègera notre fardeau en l’habitant de sa présence.











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