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Photo du rédacteurLise D

Comment accepter de ne pas tout réussir ?

Telle était la question d'un des enseignements qui ponctuaient la « pause-maman » à laquelle j'ai pu participer récemment à Montligeon (https://montligeon.org/pause-mamans/). Très touchée par ce que j'y ai entendu, voici ici ce que j'en ai retenu, accompagné de ce que cela a évoqué en moi.


« Soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait. » nous dit Jésus dans l’Évangile de Matthieu (chap 5, v.48). Oups... Quelle exigence... Dur à entendre, dur à accepter et surtout terriblement décourageant si on ne se pose pas la question suivante : De quelle perfection s'agit-il ? De la performance réclamée à grands cris par notre société ? De la perfection morale qui nous rendrait irréprochables ? De l'infaillibilité ? De l'exemplarité totale ?


Non et bien heureusement... Jésus parle d'une perfection qui se reçoit, de l'ordre de l'amour. Et cela change tout. Les saints ne sont pas des candidats pour le prix de la perfection, les chrétiens ne participent pas à un concours de celui qui sera le plus irréprochable, et les femmes que nous sommes ne sont pas appelées à entrer dans la course de celle qui réussira le mieux, aux yeux de tous, sa vie conjugale, professionnelle, amicale, familiale... Bien souvent, et parfois les réseaux sociaux ne nous y aident pas, nous nous comparons, nous nous déprécions, nous voudrions être mieux : plus belle, plus sûre de soi, plus vertueuse, plus pieuse, plus douce, plus patiente, plus organisée, plus « cool », plus drôle, plus intelligente, plus appréciée... et nos désirs deviennent alors des frustrations. Mais Dieu ne nous laisse pas dans cette détresse qui peut être au cœur de la vie chrétienne de plusieurs d'entre nous. Il nous rappelle que la sainteté est notre premier appel et que c'est par la voie de la fragilité, de la faiblesse et de l'abandon qu'Il va nous transformer et faire de nos échecs des chemins vers le ciel.


Oser l'abandon


La première chose que Dieu nous demande et sans laquelle Il ne peut rien faire tant Il respecte notre liberté, c'est de lâcher-prise. Un mot très à la mode mais qui doit prendre tout son sens dans notre vie chrétienne. Le besoin de contrôle peut être parfois très présent dans nos vies, il permet de rassurer, de prévoir, d'anticiper. Et pourtant, il se trouve bien souvent contrarié par l'imprévu, par la souffrance, par l'altérité. Mais le Seigneur veille et ce constat de notre échec de contrôle est une occasion fabuleuse de bonheur si on accepte de prendre la petite voie de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Voilà ce qu'elle raconte :


«J'ai toujours constaté, lorsque je me suis comparée aux saints, qu’il y a entre eux et moi la même différence qu’il existe entre une montagne dont le sommet se perd dans les cieux et le grain de sable obscur foulé sous les pieds des passants ; au lieu de me décourager, je me suis dit : Le Bon Dieu ne saurait inspirer des désirs irréalisables je puis donc malgré ma petitesse aspirer à la sainteté ; me grandir, c’est impossible, je dois me supporter telle que je suis avec toutes mes imperfections ; mais je veux chercher le moyen d’aller au Ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle. (...) Moi je voudrais aussi trouver un ascenseur pour m’élever jusqu’à Jésus, car je suis trop petite pour monter le rude escalier de la perfection. (...) l’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au Ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela je n’ai pas besoin de grandir, au contraire il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. » (Histoire d'une âme)


Ainsi plutôt que de s'épuiser à monter un dur escalier – et à faire monter toute notre famille – à la force du poignet, prenons l'ascenseur de l'humilité ! La réussite n'est plus alors un exploit moral mais une disposition du cœur qui permet à Jésus de nous prendre dans ses bras pour une ascension bien plus douce et en plus bien plus rapide.


La dépendance aux autres n'a pas bonne presse dans notre monde, qui veut gommer toute faiblesse et nous pousse sans cesse à ne pas avoir besoin des autres, et donc de Dieu, pour être heureux. Alors, comment accepter la réalité de nos vies, sans découragement et sans dureté ? Pourquoi voulons-nous toujours tout réussir ? Est-ce vraiment l'amour qui est notre motivation ou bien ce désir de cacher notre faiblesse ? Le Seigneur nous propose d'accepter la souffrance, le combat, la réalité telle qu'elle est. Cela suppose de quitter l'idéal que nous nous construisons. Dire oui à notre vie, avec espérance et non dans la résignation. Le premier mouvement auquel nous sommes appelés pour quitter cette course à la réussite est l'abandon car le volontarisme épuise et ne peut conduire à la sainteté. Saint Charles de Foucauld, dans une note de retraite, en 1897, donne la parole à Jésus :


« Ne demande pas de toi l'impossible ; pas de choses trop fortes ; va doucement, surtout en commençant, non par lâcheté, ni par manque de foi, mais pas humilité et parce que je veux agir en toi par grâce, par grande grâce, mais non par miracle... Ne tente pas l'impossible pour ne pas tomber, mais fais le possible et fais-le bien. »


Être abandonné suppose d'accepter l'imprévu et, surtout, de ne pas s'inquiéter: «Préoccupez-vous d'abord du Royaume de Dieu et de la vie juste qu'Il demande, et Dieu vous accordera aussi tout le reste. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain : le lendemain se souciera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine. » (Matthieu, chap 6, v.33/34) nous dit Jésus. Ne pas s'inquiéter et accepter de ne pas tout contrôler : dure tâche mais tellement libératrice de nos injonctions intérieures et de nos stress permanents. Dieu veille et Il connaît nos besoins. Pour entrer dans cette démarche, Jésus nous propose simplement la confiance. Il ne s'agit pas d'étouffer notre peur mais de la Lui confier en la mettant au pied de la Croix. Lui va porter notre souci. La Providence est là, constante et fidèle. Cet abandon suppose de vivre l'instant présent, afin de le rendre saint, sans se perdre dans le passé ou le futur : « Le passé appartient à la miséricorde, le futur à la providence, mais le présent est le lieu de l’Amour », disait Mère Teresa, rappelant également le poème « Rien que pour aujourd'hui » de Sainte Thérèse :

« Ma vie n'est qu'un instant, une heure passagère

Ma vie n'est qu'un seul jour qui m'échappe et qui fuit

Tu le sais, ô mon Dieu ! Pour t'aimer sur la terre

Je n'ai rien qu'aujourd'hui ! »


Consacrer chaque petite minute pour Sa Gloire redonne une valeur infinie à la moindre tâche et permet de trouver une fissure dans le quotidien qui laisse entrevoir le Ciel.


Consentir au manque


Consentir au manque, c'est vivre au cœur de l’Évangile. En effet, les Béatitudes nous témoignent de la place essentielle du manque dans nos vies pour obtenir le bonheur du ciel car c'est le manque qui nous met en route. La faim et la soif sont signes de vie et si l'on est comblés, repus, il n'y a plus de place pour Dieu. Le manque n'est pas alors vécu comme un malheur mais comme la condition pour que Dieu puisse se faufiler dans nos vies. Par le manque, Dieu va nous apprendre la patience et créer en nous le désir. Pour Christian Bobin, à la suite de Saint François d'Assisse, la joie se définit même par le manque :


« Vous voulez savoir ce qu'est la joie, vous voulez vraiment savoir ce que c'est ? Alors écoutez : c'est la nuit, il pleut, j'ai faim, je suis dehors, je frappe à la porte de ma maison, je m'annonce et on ne m'ouvre pas, je passe la nuit à la porte de chez moi, sous la pluie, affamé. Voilà ce qu'est la joie. Comprenne qui pourra. Entende qui voudra entendre. La joie c'est de n'être plus jamais chez soi, toujours dehors, affaibli de tout, affamé de tout, partout dans le dehors du monde comme au ventre de Dieu. » (Le Très-Bas)


Consentir au manque suppose une ascèse. Par celle-ci, nous faisons le tri dans nos vies afin de discerner ce qui peut prendre la place réservée à Dieu. Dieu ne veut pas que nos cœurs soient encombrés. Gustave Thibon nous dit aussi :


« Rien n'est perdu tant que nous souffrons de notre manque de vertu, de pureté, etc. Dans l'ordre des réalités spirituelles, souffrir d'un manque, c'est déjà posséder. Et plus on possède, plus on souffre du manque. Les choses suprêmes nous sont données ici-bas sous la forme de la faim, de l'absence et du tourment. » (L'échelle de Jacob)


Dans son encyclique Laudato Si, le Pape François parle de « sobriété salvatrice » et nous invite à nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, simple. Cela libère de l'insatisfaction et de l'immédiateté, afin d'être plus à l'écoute de l'Esprit Saint.


Consentir à soi-même


Le Seigneur nous invite à d'autres consentements pour nous libérer de cette injonction de réussite que nous nous imposons à nous-mêmes. Le deuxième est donc de consentir à soi-même, en acceptant nos fragilités, nos défauts mais surtout en reconnaissant et en cultivant nos talents (même s'ils ne sont pas forcément ceux que l'on rêverait d'avoir). Reprenons encore les paroles de Sainte Thérèse qui permettent de consentir à soi-même dans la paix et l'humilité :


« Longtemps je me suis demandé pourquoi le bon Dieu avait des préférences, pourquoi toutes les âmes ne recevaient pas un égal degré de grâces. Jésus a daigné m'instruire de ce Mystère. Il a mis devant mes yeux le livre de la nature et j'ai compris que toutes les fleurs qu'Il a créées sont belles, que l'éclat de la rose et la blancheur du lys n'enlèvent pas le parfum de la petite violette ou la simplicité ravissante de la pâquerette. J'ai compris que si toutes les petites fleurs voulaient être des roses, la nature perdrait sa parure printanière, les champs ne seraient plus émaillés de fleurettes. Ainsi en est-il dans le monde des âmes qui est le Jardin de Jésus. Il a voulu créer les grands Saints qui peuvent être comparés au lys et aux roses mais il en a créé aussi de plus petits et ceux-ci doivent se contenter d'être des pâquerettes ou des violettes destinées à réjouir les Regards du Bon Dieu lorsqu'il les abaisse à Ses pieds ; la perfection consiste à faire Sa volonté, à être ce qu'Il veut que nous soyons. » (Histoire d'une âme)



Elle raconte également l'histoire du verre et du dé à coudre : tous les deux remplis d'eau, lequel est le plus plein ? Les deux... Impossible de mettre plus d'eau qu'ils ne peuvent en contenir ! Accepter sa mesure, accepter d'être soit le dé à coudre, soit le verre, permet ce consentement à soi-même. A notre mesure, selon nos talents, il est alors possible de trouver quelle est notre forme de réussite, avec les talents qui sont les nôtres, toujours sans se les approprier. Ainsi, nous pouvons lâcher prise sur ce qui ne sera pas et voir avec lucidité là où il est possible d'agir. Reconnaître ses limites, c'est reconnaître que l'on a besoin d'être sauvés et accepter les paroles de Jésus : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean, chap 15, v.5). Mère Yvonne Aimée de Malestroit qui rayonnait de talents et de dons répétait sans cesse ces paroles : « Jésus, sans Toi, je ne peux rien, sans Toi, je ne suis rien, mais avec Toi, tout est possible. » Le lieu de ma faiblesse est le lieu de ma rencontre avec Dieu : se le rappeler tous les jours permet de quitter l'envie, la frustration, la comparaison, pour entrer dans la vraie joie et la sérénité. Ce qui intéresse le plus le Seigneur, ce ne sont pas d'abord nos vertus mais notre misère car elle est l'occasion de la Miséricorde. Il nous invite donc à ne pas nous justifier mais, lorsque nous avons échoué, à dire pardon simplement. Respectons notre rythme, sous le regard de Dieu car Il est toujours Celui qui nous regarde tels que nous sommes et non tels que nous nous rêvons.


Consentir à l'autre


Consentir à soi-même permet de consentir à l'autre librement. Consentir à l'autre, c'est se libérer de son regard et de ce que je crois qu'il attend de moi. C'est accepter les critiques, accepter de décevoir, de dire non, même à ceux qu'on aime, pour que la disponibilité soit une vraie disponibilité. Consentir à l'autre permet de l'accepter tel qu'il est et non de le considérer comme celui qui devrait combler mes manques. Consentir à ce que l'autre ne soit pas comme je veux, mais espérer que l'autre soit comme Dieu veut. Par ce consentement, nous sommes invités à consacrer nos relations à Dieu, en particulier celles que nous avons avec nos enfants.


La maternité est une école de ce dépouillement : accepter de ne pas tout contrôler, accepter que nos enfants ne ressemblent pas à l'image que nous avions imaginée, accepter de ne pas avoir de prise, parfois, sur leurs décisions et quand ils grandissent, accepter qu'ils nous échappent, consentir à ne plus être indispensable. Cultiver la gratuité, loin de toute comparaison et sans chercher la gratitude, permet de faire de chacune de nos relations une réussite.


Consentir à être plutôt qu'à faire


Tel est le dernier consentement proposé pour faire de nos vies des réussites aux yeux de Dieu. Il s'agit ici de trouver ce qui dans mon désir coïncide avec la volonté de Dieu. Ma vie va alors s'unifier autour de cela, dans la lumière du Ressuscité, détachant mes désirs vains de ceux qui sont féconds. La vie de Jésus en apparence n'est pas une vie de réussite, passant par la crèche et la Croix.... Et pourtant, c'est Lui qui a la plus belle victoire car même la mort n'est pas un échec pour Dieu. Lorsque nous nous sentons en échec, considérons cette folie de Dieu qui a voulu faire de la Croix la plus belle occasion de montrer Son Amour, derrière une apparence d'échec qui semblait pourtant sans appel. Ainsi, l'important, c'est l'amour mis dans les choses, c'est tout. Il faut tout d'abord accepter d'être aimé pour ce que l'on est et non pour ce que l'on fait. Nous n'avons rien à prouver devant Dieu. Encore une fois, Sainte Thérèse nous aide sur ce chemin par son témoignage, elle qui aurait voulu tout faire, martyre, missionnaire et qui disait :


« O Jésus ! mon amour, ma vie... comment allier ces contrastes ? Comment réaliser les désirs de ma pauvre petite âme ?... (…..) Je compris que l'amour renfermait toutes les vocations, que l'amour était tout, qu'il embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot, qu'il est éternel !... Alors dans l'excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l'ai trouvée, ma vocation, c'est l'Amour ... »


Renonçons donc à nous déployer uniquement dans le faire, dans les listes cochées, les tâches effectuées, les projets accomplis, les diplômes obtenus, le salaire perçu, les actions mises en place... Cela ne sera fructueux que si, avant tout chose, nous songeons à aimer.


Comme le disait la lumineuse Chiara Corbella Petrillo :


« L'important dans la vie, ce n'est pas de faire quelque chose, mais de naître et de se laisser aimer. »




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