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Chrétien: quelle attitude dans notre monde ?


En cherchant la future école de mon petit garçon, je navigue sur différents sites internet. Privé ? Public ? Hors contrat ? Personnellement, mon choix se porterait vers l’alternatif, pour différentes raisons. Mais dans la ville où nous déménageons, point de propositions. Je lis donc quelques projets éducatifs d’établissements privés, et peu convaincue, je ferme tout, légèrement dépitée par cette manière de faire, où l’on dépeint l’éducation dans un système comme on vous propose un menu au restaurant, où le choix est plus ou moins varié en fonction du lieu où vous êtes. Ne soyez pas trop exigeant, vous serez content. Faites le difficile, et vous risquez de garder le ventre vide. Je décide de fermer toutes les fenêtres de mon ordinateur lorsque je découvre que pour la maternelle, je dois bel et bien rédiger… une lettre de motivation. 

En allant aux urgences pour une douleur au ventre qui devient de plus en plus handicapante, avec mon bébé de quelques mois, je me fais rabrouer. « Madame, on n’accepte pas le bébé. » Incrédule, je les regarde, comme pour vérifier que j’ai bien compris. Oui, j’ai bien compris. Je leur explique que j’allaite mon enfant, qu’elle a seulement 3 mois et que je ne peux m’en séparer aussi facilement que si c’était mon chien. Il faudra que ma sœur, chez qui je loge, se déplace pour venir garder ma fille pendant que je pénètre dans l’enceinte des urgences, et que mon bébé fasse des aller-retours pour téter, car non, ils ne l’accepteront pas.  

Où va-t-on ?

Dans ce genre de situations, je trouve notre temps et notre monde absurdes. J’ai le sentiment qu’on nous fait marcher sur la tête. J’en veux à ceux qui nous gouvernent. Je vois le monde comme un danger dont je dois me protéger ou protéger mes enfants. Je vois la société en négatif. Et peu à peu, je me rends compte que mes phrases débutent toutes par “On est dans un monde où...” et s’achèvent dans un discours plutôt pathétique qui doit donner envie à mes voisins de table de se boucher les oreilles : c’était mieux avant ! Ce monde est fou ! Protégeons-nous, vivons entre nous, entre “gens bien” !  

Puis je me ravise. Il y a forcément une raison. Nous ne sommes pas là pour rien. Je ne peux pas rester dans mon coin à me morfondre sur une société qui consomme trop et qui va droit dans le mur, sur un monde empoisonné par les réseaux sociaux, ou sur ma condition de pauvre mère victime de discrimination. Cependant, nier les réalités actuelles, nier les difficultés liées au contexte qui est le nôtre aujourd’hui, ce serait fermer les yeux. Que faire alors ? Comment se comporter ?  

Dans un monde où règne le Prince du mal, quelle est l’attitude que le chrétien peut et doit avoir aujourd’hui ? Existe-t-il un juste milieu entre désillusion et négation ?  

Nous sommes dans le monde mais pas du monde


Cette phrase, souvent entendue au détour d'une conversation ou d'une homélie, m'a toujours marquée. La nuance qu'elle implique est fine. Si nous sommes dans le monde, mais pas du monde, quel rôle avons-nous à jouer ?  

« Les chrétiens ne sont distingués du reste des hommes ni par leurs pays, ni par leur langage, ni par leur manière de vivre ; ils n'ont pas d'autres villes que les vôtres, d'autre langage que celui que vous parlez ; rien de singulier dans leurs habitudes. […] Ils habitent leurs cités comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs. […] Comme les autres, ils se marient, comme les autres, ils ont des enfants, seulement ils ne les abandonnent pas. […] Les chrétiens sont dans le monde ce que l'âme est dans le corps : l'âme est répandue dans toutes les parties du corps ; les chrétiens sont dans toutes les parties de la Terre ; l'âme habite le corps sans être du corps, les chrétiens sont dans le monde sans être du monde. »
Epître à Diognète

Ce texte mêle deux aspects pouvant sembler antinomiques de prime abord. D’une part, une grande gravité de la condition du chrétien: ce dernier n’est pas citoyen de la terre, mais du ciel. Son existence sur terre est celle d’un être persécuté, moqué. D’autre part, une certaine légèreté qui lui est demandée, de faire comme tout être humain : tomber amoureux, se marier, avoir des enfants, habiter quelque part, être heureux...  

Les chrétiens sont dans le monde ce que l’âme est dans le corps. Elle est en lui, elle l’élève, mais n’est ni un organe, un muscle ou un membre. Quel rôle difficile, car l’âme, immortelle, n’est pas issue de la terre comme l’est le corps. Ainsi, malgré le fait que notre place est sur terre en cet instant, nous sommes, en quelque sorte, en exil...  


L’aubaine d’être né en ce temps

Ainsi donc, chrétiens, nous sommes appelés à être des humains, comme les autres. Avec un petit plus dans notre vocation, une sorte de transcendantalité venue nous relier au Ciel...

« La foi en Dieu implique la foi en l’aubaine d’être né dans un tel siècle et au milieu d’une telle perdition. Elle commande une espérance qui dépasse toute nostalgie et toute utopie. Nous sommes là, c’est donc que le Créateur nous veut là. Nous sommes en un temps de misère, c’est donc le temps béni pour la miséricorde. Il faut tenir notre poste et être certains que nous ne pouvions pas mieux tomber. » 
Fabrice Hadjadj, L’aubaine d’être né en ce temps

Autrement dit, celui qui ne croit pas qu’il est chanceux d’être né en ce temps ne croit pas en Dieu... Vaste exigence ! Nous sommes placés ici et maintenant, avec la ferme conviction que le Christ est vainqueur. J’aime particulièrement la résonnance entre “misère” et “miséricorde” : la misère appelle la miséricorde, tout comme la perdition appelle l’espérance ! 

Alors pour être dans le monde, mais pas du monde, que faut-il faire ?

Partir en croisade ? Ne serait-ce pas cela, la nostalgie ? Cette époque de zèle, ou traverser le monde pour délivrer le tombeau du Christ était le serment de nombreux chevaliers ?  

Non. Pas question ici de faire la guerre à ceux qui ne croient pas en Dieu, de les gaver comme des oies qui ne nous ont hélas, rien demandé. Être témoins, plus que jamais, oui. Par nos choix, nos modes de vie, notre sourire, et notre ouverture. L’espérance n’est rien d’autre que la conviction que le Christ a déjà vaincu. Espérer, ce n’est pas espérer un monde meilleur, mais espérer le Christ pour chacun d’entre nous. Tout en gardant dans le cœur que notre vraie patrie, c’est là-haut...  

Ici, pas question de chrétiens « guimauve » non plus. Notre principal pilier, la foi, est notre phare. Notre essentiel. Nous n’avons pas besoin d’un bien-être parfait, d’un compte en banque rempli ou d’un quotidien sans heurts pour être heureux et saints. Cela serait utopique. Nous le savons: nous ne serons comblés qu’une fois au ciel.  

J’entends souvent, trop souvent, autour de moi, des personnes se désoler sur le monde d’aujourd’hui. Les temps que nous traversons sont durs, certes. Mais ce n’est pas en nous dérobant à ce contexte que nous deviendrons saints et témoins du Christ. « Vivre avec notre temps » implique de ne pas diaboliser ce qui n’est pas traditionnel, comme je le fais en me désolant des écoles proposées dans ma future ville. Cela implique de ne pas se placer en victime, comme je peux le faire lorsqu’on m’interdit l’accès aux urgences avec mon bébé qui a besoin de moi. Les difficultés sont réelles, bien sûr, mais par ailleurs, quelles merveilles ne s’opèrent pas autour de nous ? De nombreux témoins convertissent les gens grâce à internet… Oui, on peut contester le poids de ce moyen pour convertir les âmes ; non, un compte Instagram ne suffit pas pour qu’une âme rencontre Dieu dans son cœur. Mais utilisons ce qui est à notre portée pour nous faire témoins. L’amitié, le partage, l’ouverture, adoucissent les âmes et instillent en elles quelque chose de Dieu.  

A l’inverse, je tombe souvent moi-même dans l’obsession du « tout parfait » et du « jamais assez ». La recherche du job parfait, de l’équilibre de vie parfait, du lieu de vie parfait, la chasse aux problèmes, à l’introspection, aux thérapies et aux réponses à mes questions me procurent rarement un sentiment de satiété… C’est un joli cercle vicieux qui s’invite dans ma vie, qui ne me laisse jamais satisfaite, et me fait croire que ce n’est que par moi-même que je trouverai la solution à mes problèmes. Dieu est comme tronqué de mon existence.  


Le vrai combat, c’est le combat spirituel ? 

« Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »
2 Corinthiens 12 ; 10 

La réponse est sans doute là : ce monde est misérable, mais qu’est-ce que je suis, moi ? Comment s’est senti Saint Joseph quand Dieu l’a missionné pour veiller sur la Vierge Marie et sur son propre Fils ? J'ai beau être adulte, mariée, mère de famille, je ne me suis jamais sentie aussi petite et limité que depuis l'arrivée de mes enfants. Je ne peux rien réaliser seule. Je suis forte dans ma faiblesse parce que toute la puissance de Dieu s’y déploie. Je ne m’appartiens pas, c’est Lui qui agit pour Son Nom en moi. Je suis canal, instrument, moyen. Je suis misérable, mais créée et voulue libre.  

En tant que créatures de Dieu, passionnément aimées de Lui, nous sommes comme des cierges qui brillent dans la nuit. Nous n’avons rien d’extraordinaire à faire, si ce n’est laisser notre lumière éclairer. Faisons-nous vassaux du Christ, en acceptant de briller pour Lui, dans ce monde qui parfois peut nous sembler si terne… Notre rôle n’est pas d’anéantir le mal sur terre, car cela a déjà été fait… Nous devons simplement de notre mieux, progresser chaque jour, faire le vœu de sainteté chaque matin, et entraîner avec nous ceux que nous croisons. 

 Soyons des guerriers d’amour, et revêtons l’armure que Saint Paul décrit si bien :  

« Revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux embûches du diable. Car nous n'avons pas à lutter contre des adversaires de chair et de sang, mais contre les princes, contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal répandus dans l'air. C'est pourquoi prenez l'armure de Dieu, afin de pouvoir résister au jour mauvais, et après avoir tout surmonté, rester debout. Soyez donc fermes, avec la vérité pour ceinture, la justice pour cuirasse et pour chaussures le zèle à propager l’Evangile de la Paix. Ayez toujours en main le bouclier de la foi, par lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin. Prenez aussi le casque du salut, et le glaive de l'Esprit, qui est la Parole de Dieu.”
Epître aux Ephésiens, 6, 10-19 
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