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Six mois immergée dans un Foyer de Charité africain: Blandine raconte...

“Le Seigneur parfois, nous procure des grâces qu’il fait entrer en brisant les vitres.”

Marthe Robin


Je m’appelle Blandine, j’ai 24 ans, je suis originaire de la Drôme, et sixième d’une fratrie de sept enfants. En 2012, mon père nous a quittés, des suites d’une longue maladie. Ce jour-là, j’ai posé une chape de plomb sur ma petite vie et sur mon petit cœur, pour que plus jamais il ne soit atteint. Personne ne pouvait me percer à jour, j’étais verrouillée et je me suis lourdement endurcie : je ne pleurais jamais, ne ressentais aucune émotion, et n’avais peur de rien. J'étais du genre à ne pas me poser de questions et à avancer, à la force du poignet. Et puis en 2017, à la fin de mes études, l’opportunité de partir en mission, - désir qui m’était cher - , s’est présentée, via les Foyers de Charité. Alors j’ai sauté sur l’occasion. Je ne me doutais pas que ce voyage allait changer ma vie. Je croyais maîtriser les choses alors qu’en fait, elles me filaient doucement entre les doigts… Je me suis envolée le 2 février 2018 vers le Rwanda, en Afrique de l’Est, pour une mission de 6 mois.


Quelle était ta mission là-bas ?

J’étais tout juste diplômée en communication. Ma mission était d’être chargée de communication pour le Foyer de Charité de Remera (juste au dessus de Kigali, la capitale), et plus particulièrement dans le cadre de son cinquantenaire. J’allais superviser tout ce qui tournait autour de la communication sur Facebook, auprès de l’entourage et proches du Foyer, etc. Ce n’était pas une mince affaire, puisqu’en Afrique, tout va moins vite, surtout la technologie. Pour vous dire, il y avait 1Go d’internet par jour ! Il suffisait d’ouvrir sa boîte mail et il n’y en avait plus. Je vivais avec la communauté, et à son rythme. Le soir de mon arrivée, ils m’attendaient sur le pas de la porte, comme si nous étions tous de vieux amis, et ils m’ont accueillie comme si j’étais le Messie. Ma chambre était prête, et sur le bureau trônait un petit bouquet de fleurs… L’accueil fut chaleureux jusque dans les moindres détails. Alors la vie africaine commença, et je découvris le rythme africain : le temps ne domine pas les hommes, comme chez nous, mais les hommes "dominent" le temps. Croyez-moi, ça fait toute la différence : on fait moins de choses dans une journée, mais on le fait bien, on le finit. Je garde aussi le souvenir de joies et de moments d'humour simple : on rit de peu et c’est super précieux ! La communauté était très vivante, ils riaient beaucoup, ce que je trouve très paradoxal quand on pense à ce que chacun a vécu au moment du génocide : la plupart ont eu leur famille massacrée, ils ont tous vu la mort de près. Mais les membres sont habités d’une joie bien mystérieuse. Au-delà de tout ça, il y aurait tellement de choses à dire ! Sur le paysage, ces 1000 collines du Rwanda, la culture, certaines traditions si différentes des nôtres, la mentalité africaine aussi, parfois surprenante, parfois reposante.


La communauté au grand complet le jour de Pâques !


Pourquoi es-tu partie ?


Question intéressante puisque je n’en sais rien du tout ! Et d’ailleurs, ça me fait sourire parce que je me rappelle que quelques temps avant mon départ, je me posais moi-même la question. Jusque dans l’avion, le matin où je suis partie, je me demandais : “Blandine, tu es bien là, ta vie est sympa, quel besoin tu as de partir à l’autre bout de l’Afrique ?”. Deux ans après, je n’ai toujours pas la réponse, et honnêtement, je ne sais pas si c’est ce qui compte. En revanche, je suis convaincue que j’en avais besoin, et que quelque part, ce n’était que là un petit coup de pouce du Bon Dieu, qui "n’avait pas fini de m’en faire voir". Simplement, quand je relis l’histoire, que je me retourne sur mon parcours depuis, je n’y vois qu’un enchaînement de petites opportunités, qui une fois mises les unes à la suite des autres, représentent en fait un fil rouge, sur lequel je n’ai pas fini de tirer... Le Bon Dieu me fait surfer sur une vague ; comme tout le monde, parfois je bois la tasse, et parfois j’arrive à me mettre debout sur ma planche, et à savourer ! Et ça, je l’ai appris au Rwanda. Alors, pourquoi je suis partie au Rwanda, je dirais que la raison ne m’appartient pas vraiment… C’est le genre d’épisodes que le Bon Dieu dicte à votre cœur sans que vous vous en aperceviez, et qui finissent par changer votre vie, malgré vous ! Pendant ma mission là-bas, lors d’une homélie, j’ai retenue cette phrase : “Même lorsqu’on ne le veut pas, le Bon Dieu fait ce qu’Il veut de nous”. Cet épisode de ma vie en est l’exemple parfait ! Je dis souvent que j’avais besoin de ces six mois pour être remise à ma place… Il a remis les pendules à l’heure… à sa façon !


Qu’as-tu trouvé là bas que tu souhaitais trouver ? Qu’as-tu découvert que tu ne soupçonnais même pas ?


Encore une question difficile… Ce que je sais c’est que je n’avais pas vraiment d’attentes en partant. J’avais décidé de me laisser porter, d’aller là où le vent me mène et de ne pas faire de plans sur la comète, de ne pas attendre quelque chose de ces six mois, par peur d’être déçue ! Je ne savais pas ce que je cherchais, ni ce que j’allais trouver là-bas. Mais je dirais que la véritable découverte de ces six mois fut spirituelle. Je me suis aperçue, au gré de mes rencontres africaines, de mes discussions, de tel ou tel moment, que ma Foi était très tiède. Or, croire avec audace et courage, c’est tellement mieux ! Je me suis rendu compte que mon rapport à Dieu était timide, et manquait de conviction. Avant de partir, j’avais ma petite vie étudiante à Lyon, mes amis, mes sorties, mes cours ; j’allais à la messe en semaine de temps en temps, ou à l’adoration, j’avais mon petit rythme, et ça m’allait bien. Mais je ne vivais pas ma Foi. J’étais un peu à côté, une “chrétienne de patachon”, et pourtant je me croyais exemplaire et n’avais pas ma langue dans ma poche pour le faire savoir… J’ai été remise à ma place et j'en avais besoin. Grâce à cette mission, mon regard sur Dieu a complètement été transformé. J’ai changé ma manière de vivre ma foi ; c’est plus difficile qu’avant, parce que j’essaye justement de la vivre. C’est plus exigeant que de faire “comme si”, mais si c’est le chemin du Ciel je me dis que ça vaut le coup.




Est-ce que ça t’a transformée ?


Oh oui ! Comme je l’ai précisé plus haut, mon père est mort quand j’avais (presque) seize ans, et ce jour-là je me suis mise en "stand-by". Dure, exigeante, j’avançais dans la vie sans même m’en rendre compte, à coup de cravache à moi-même, écartant tout ce qui pouvait me déstabiliser, me fragiliser. Tous les domaines de ma vie étaient bien verrouillés, et je n’ouvrais rien sous aucun prétexte ! Château de carte impeccable, cœur de pierre et main de fer. Et puis je suis partie au Rwanda, et sur place, j’ai découvert la Formation Humaine Intégrale, une formation destinée à développer, approfondir et creuser certaines grandes questions de la vie, de la personne humaine, nos forces, nos faiblesses, tout un tas de choses qui font les être humains. N’y croyant qu’à moitié, n’étant pas une convaincue du psycho/spi/introspection, j’ai quand même demandé à pouvoir suivre le module sur le deuil. Si j’avais su ! J’y suis allée, à reculons, en me disant : “Attention Blandine, tu fais la maligne, mais tu vas ouvrir un dossier non-traité, et ça va peut-être pas être une partie de plaisir.” Mais j’y suis allée quand même, et j’ai ouvert la brèche, bien bien profonde de la mort de mon papa. Et ça m’a fracassée, autant que cela m’a aidée et relevée, car ça a été l’élément déclencheur de tout le reste, et ça m’a permis de faire ce travail sur moi-même, qui m’a profondément changée : ma relation à Dieu, à moi-même, et aux autres. J’ai découvert, seulement au Rwanda, au fin fond de l’Afrique, sept ans après la mort de Papa, que j’étais faible, et que j’étais fragile, parce que je suis un être humain, comme tout le monde. Ça peut paraître vraiment absurde à celui qui me lit, mais avant cela, avant cette claque-là, je me croyais invincible. A présent, j'essaye de chérir ma faiblesse, comme ma plus grande force, puisque c’est grâce à elle que j’offre à Dieu l’occasion de me sauver, de me donner les grâces, la force et le courage dont j’ai besoin ; et là, ma foi grandit.




Comment s’est passé le retour ?


Chaotique ! Je n’avais pas encore compris tout ce que j’ai écrit plus haut, le travail commençait tout juste. Je me suis précipitée à Paris, j’ai trouvé un travail, parce que dans ma tête, il fallait être autonome, avoir un travail, gagner sa vie, et vite. J’ai pris un petit peu le premier travail qui passait, j’ai passé un entretien seulement 4 jours après être rentrée, et dans la foulée, c’était bouclé. Je m’installais en coloc à Paris, et commençais cette nouvelle vie. Au bout d’un mois, ma période d’essai a pris fin, ça ne fonctionnait pas. J’étais soulagée, mais j’étais aussi à Paris, en coloc, sans travail et sans un sou. Je me suis débrouillée, j’ai fais des jobs étudiants, mais j’avais la corde au cou tous les mois quand il fallait payer le loyer. Et puis petit à petit, ce que j'avais gentiment mis de côté comme le dossier "expérience Rwanda" a refait surface, doucement mais sûrement, jusqu’à me sauter à la figure, comme pour me dire “Je suis là, ça ne va pas être agréable, mais tu vas devoir régler tout ça.” En parallèle, j’étais confrontée à la difficulté de raconter à mes proches mes six mois de mission. Dans ce genre d’expérience, on vit des choses tellement fortes, tellement bouleversantes, tellement constructives, et parfois tellement difficiles, qu’il est vraiment dur de mettre des mots dessus. Alors en rentrant, on me demandait : “Alors, c’était bien ?”. Oui, c’était bien, mais tellement plus que ça. Chacun avait continué à vivre son quotidien pendant que je n’étais pas là, alors que le mien avait été complètement chamboulé pendant six mois. Ils ne pouvaient pas comprendre, et j’étais d’ailleurs incapable de le raconter. Il faut s’entraîner. Encore aujourd’hui, deux ans après, il y a des choses que je ne raconte pas, ou plutôt des choses qui ne se racontent pas. Je parle de mes voyages, en Ouganda, ou du safari à la frontière tanzanienne, de la Semaine Sainte et de Pâques, vécues façon “Afrique” ou des moments un peu cocasses vécus avec les membres de la communauté. Mais ce qui touche, ce qui bouscule, ce qui transforme, ce qui a été difficile, je ne le raconte pas.


Vous l’aurez compris, ces six mois africains auront mis un point final au chapitre qui commença le soir de la mort de mon Papa. Ils sont aussi la majuscule du chapitre qui commence après. C’est cliché comme image, mais c’est vrai.


Une pépite à laisser ?


Que laisser comme pépite, qui ne soit ni “bateau”, ni trop personnel… Le plus simplement possible, je vous dirais que la vie est difficile, mais qu’elle est belle ! Et que les itinéraires du Bon Dieu ne sont pas toujours les nôtres (dans mon cas,


son itinéraire n’est pas du tout celui que je m’étais prévu), mais que quoiqu’il nous en coûte, si on choisit de monter dans la barque du Bon Dieu, on aura toujours les grâces et les forces nécessaires pour le suivre, contre vents et marées. Il suffit de les lui demander. Il y aura des moments terribles, incompréhensibles, mais Il nous


mène pour quelque chose d’encore mieux. C’est peut-être ça que j’ai particulièrement reçu au Rwanda ;


Là-bas on m’a dit :


“Ce ne sera pas comme tu l’as imaginé, ce sera mieux !”


Et finalement, c’est valable dans tous les domaines de notre vie, si on choisit de s’allier au Bon Dieu.


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